— Publié le 4 mai 2023

Sur la question russe, les athlètes se font entendre

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La question du retour des athlètes russes et biélorusses dans les compétitions internationales occupe le mouvement olympique, depuis plusieurs mois, jusqu’à en monopoliser les conversations. Le monde politique s’est invité dans le débat, au moins en occident. Deux camps se sont formés. Ils se disputent la parole.

Mais qu’en pensent les athlètes ? Le CIO a en interrogé cinq, en activité ou récemment retraités. Ils sont issus de quatre continents et représentent cinq sports olympiques, d’hiver ou d’été. Deux d’entre eux, le Français Martin Fourcade et la Polonaise Maja Włoszczowska, sont membres de la commission des athlètes du CIO.

Martin Fourcade – Biathlon, France

« En tant que représentant des athlètes et sportif, je suis fermement convaincu que nous devrions envisager d’autoriser les athlètes russes et biélorusses à participer aux compétitions sportives. Bien que je comprenne le caractère sensible de cette question compte tenu de la guerre en cours en Ukraine, j’estime qu’exclure ces athlètes de la compétition en raison de leur passeport ou de leur nationalité est discriminatoire et va à l’encontre des valeurs fondamentales du sport.

En tant qu’athlètes, nous partageons tous un lien commun et notre nationalité ou nos convictions politiques ne devraient pas nous empêcher de concourir les uns contre les autres. Pendant mes 15 années de carrière sportive, j’ai concouru pour la France, mais je n’ai jamais défendu sur la ligne de départ les positions ou décisions de mon gouvernement. J’ai concouru comme athlète, être humain et adversaire pour tous ceux qui s’alignaient à mes côtés.

Je pense également qu’il est important de montrer au peuple russe que les athlètes de leur pays et les athlètes du monde entier peuvent s’élever au-dessus de la politique et de la propagande pour concourir sur un terrain de compétition juste et équitable.

Je sais qu’il peut être difficile de comprendre ma position. J’en ai conscience, je ne suis pas aveugle. Mais mon opinion est ce qu’elle est en raison de mon attachement aux valeurs olympiques. Je sais que cela n’atténue pas les difficultés du peuple ukrainien et de la terrible guerre à laquelle il est confronté. Je suis à 100 % avec eux. Et je veux être totalement clair sur ce message, car nous vivons dans un monde où certaines choses sont soit noires, soit blanches, il n’y a pas de zone grise. Le fait que je soutienne le retour des athlètes russes et biélorusses ne signifie pas que je soutiens la guerre. Ce n’est pas le cas, et ne le sera jamais. »

Maja Włoszczowska – VTT, Pologne

« La communauté olympique mondiale soutient la recommandation du CIO. Et cela, même si question d’autoriser les athlètes de Russie et de Biélorussie à participer aux compétitions internationales, et éventuellement aux Jeux olympiques, n’est pas encore tranchée. En tant qu’athlète d’un pays voisin, j’entends beaucoup d’opinions différentes.

Bien sûr, il y a ceux qui croient en la disqualification complète des athlètes de ces pays, mais la majorité de la communauté pense que les athlètes individuels ne devraient pas être tenus responsables des actions de leur gouvernement.

Cette question est particulièrement préoccupante pour les sportifs des pays qui sont en conflit permanent avec leurs voisins. Si nous disqualifions les athlètes russes et biélorusses, qu’en est-il des autres nations ? Il y a beaucoup de conflits dans le monde. L’idée des Jeux olympiques, depuis le tout début, est de rassembler tout le monde, quelles que soient les actions de leur gouvernement. »

Mohamed Ghaleb Mohamed Al-Qarnas – Boxe, Yémen

« En tant qu’athlète, je pense que la participation des athlètes russes aux compétitions internationales devrait être autorisée, mais sans médailles. Les graves erreurs du gouvernement russe ne doivent pas être retenues contre les sportifs individuels qui ont travaillé dur, toute leur vie, pour concourir au plus haut niveau.

Toutefois, je pense que la Russie doit mettre fin à sa guerre injuste contre l’Ukraine. Le fait d’être en faveur du retour des athlètes russes ne signifie pas pour autant que l’on soit en faveur de la guerre.

Par expérience personnelle, je connais les défis auxquels les athlètes yéménites sont confrontés, notamment en raison de la guerre qui sévit dans notre pays. Cette guerre, qui dure depuis huit ans, a fait des milliers de morts dans mon pays et a provoqué une crise humanitaire majeure. Beaucoup d’entre nous, athlètes, ont vu leurs salaires et leurs financements supprimés. Et il est devenu difficile de concilier le sport avec le travail, les études et les responsabilités familiales. L’un des plus grands défis auxquels nous sommes confrontés est le manque d’accès aux camps d’entraînement. Sans un entraînement adéquat, il est impossible d’atteindre notre plein potentiel et de concourir au plus haut niveau. Malheureusement, l’attention portée par le gouvernement à la guerre a laissé peu de place au sport.

Malgré ces circonstances difficiles, je reste déterminé à faire connaître l’importance de la culture sportive dans notre communauté. J’espère qu’un jour, nous pourrons dépasser l’agitation politique et embrasser véritablement le pouvoir du sport pour nous unir et nous inspirer tous.

Dans le même temps, je pense que la Russie doit mettre fin à sa guerre injuste contre l’Ukraine. »

Kirtie Algoe – Taekwondo, Suriname

« En tant qu’êtres humains et athlètes, il est naturel que nos pensées aillent aux victimes du conflit et à la communauté sportive en Ukraine.

En même temps, j’ai été très déçue lorsque j’ai appris que le CIO avait appelé à une interdiction totale des athlètes russes. Selon moi, cette action contredisait le principe de neutralité politique énoncé dans la Charte olympique. Je suis heureuse que le CIO ait reconsidéré la question et envisagé la possibilité d’autoriser les athlètes russes et biélorusses à concourir sous un drapeau neutre.

Le fait est que, si vous regardez les relations internationales et la diplomatie, il y a toujours des points de vue opposés et chaque pays ou région n’a pas la même position sur chaque question. C’est pourquoi la neutralité politique est cruciale pour le sport, pour le CIO. Nous devons garder à l’esprit que les Jeux olympiques ne sont la propriété d’aucun pays. Ils appartiennent à la communauté sportive et les principaux représentants de cette communauté sportive sont les athlètes, que leur pays soit dirigé par un leader non démocratique ou non. Les athlètes devraient avoir le même droit de participer et la plateforme des Jeux olympiques devrait être un espace sûr.

Je suis consciente que mon opinion peut ne pas être populaire auprès de certains de mes collègues athlètes, mais pour moi, il est clair que nous ne pouvons pas permettre aux Jeux olympiques de devenir un instrument de guerre politique. Pensez aux athlètes qui se sont entraînés toute leur vie, et en particulier ces dernières années, pour participer aux Jeux olympiques. Nous ne pouvons pas leur refuser l’opportunité de concourir à cause des actions de leur gouvernement. Cela n’est tout simplement pas juste.

Cela ne signifie en aucun cas que je soutiens la guerre. »

Victoire L’or Ngon Ntame – Volley-ball, Cameroun

« La Déclaration universelle des droits de l’homme affirme que tous les êtres humains sont libres en dignité et en droits, sans distinction aucune, notamment fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante. Ce diktat clair, ainsi que la Charte olympique qui stipule que la pratique du sport est un droit de l’homme, montrent clairement que le Mouvement olympique a tout à fait le droit d’autoriser les athlètes munis de passeports russes ou biélorusses à participer à des compétitions sportives.

Les trois valeurs olympiques sont l’excellence, l’amitié et le respect. Pour moi, ces valeurs s’étendent à tout être humain, sans discrimination. Les fédérations internationales qui font partie du mouvement olympique décident de l’éligibilité pour leurs sports et disciplines. Si le tennis a permis aux athlètes russes et biélorusses de participer à des tournois professionnels, il serait incongru d’interdire à leurs compatriotes de participer à des compétitions internationales. Ces tournois de tennis professionnels ont souvent plus de visibilité que le tournoi de tennis des Jeux olympiques, par exemple.

Les athlètes ne doivent pas faire les frais des conflits entre gouvernements. Il est injuste de briser le rêve olympique d’un athlète à cause d’une situation dont il n’est pas responsable. Nous espérons que le gouvernement ukrainien placera les intérêts de ses athlètes au-dessus des intérêts politiques. J’espère que le CIO pourra trouver un moyen, pour les athlètes ukrainiens qui souhaitent participer à ce grand événement sportif mondial, de réaliser leur rêve olympique.

Je me souviens de la façon dont la Corée du Nord et la Corée du Sud ont mis de côté leurs griefs pour participer ensemble aux Jeux olympiques. J’espère et je souhaite que les athlètes ukrainiens et russes puissent faire preuve de grandeur en respectant de la même manière les valeurs olympiques et le fair-play. Mais je sais que, dans les circonstances extrêmement difficiles auxquelles les athlètes ukrainiens sont confrontés, cela ne sera pas facile. »