— Publié le 15 décembre 2023

Suspendue à vie pour avoir seulement voulu boxer

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Son histoire est unique. Pour l’instant. L’histoire unique d’une jeune boxeuse de moins de 20 ans à l’avenir encore plein de promesses, mais dont la carrière sportive est aujourd’hui suspendue par la faute d’une querelle politique entre deux instances internationales.

Megan De Cler (photo ci-dessus), vice-championne du monde jeunes des moins de 63 kg l’an passé, rêve des Jeux olympiques, à Paris en 2024 ou quatre ans plus tard à Los Angeles. Mais, victime collatérale de la bataille entre la Fédération internationale de boxe (IBA) et sa rivale, Word Boxing, elle ne verra peut-être aucun de ces deux événements.

La jeune Néerlandaise a démêlé pour FrancsJeux les fils d’une histoire aux allures de mauvais scénario.

FrancsJeux : Quelle est aujourd’hui votre situation sportive ?

Megan De Cler : Je suis suspendue à vie par la Fédération néerlandaise de boxe pour avoir participé cette année aux championnats du monde féminins en Inde. Les Pays-Bas avaient appelé au boycott de la compétition en raison de la situation politique dans la boxe olympique. Etant suspendue, je ne peux plus participer aux tournois sous les couleurs de mon pays, j’ai perdu mes aides, je n’ai plus accès aux installations sportives… Je suis comme une réfugiée politique, mais dans mon propre pays.

Saviez-vous, en vous rendant aux Mondiaux féminins de l’IBA, que vous risquiez des sanctions ?

Je savais que ma participation pouvait avoir des conséquences. Mais personne ne m’avait prévenue que je risquais une suspension, et encore moins d’être radiée à vie. Aller aux championnats du monde était pour moi une rêve. Par mes résultats, j’en ai eu l’opportunité. Je ne voulais pas la laisser échapper. La boxe est ma passion, je veux seulement boxer. Je suis une athlète, je ne devrais pas me retrouver au coeur d’une querelle politique.

Que s’est-il passé à votre retour des Mondiaux ?

Mon histoire a été relayée par tous les médias aux Pays-Bas. J’en ai choisi un pour raconter ma version des faits avec mes propres mots. Quand j’ai été suspendue et que l’IBA a entendu parler de ma situation, ils m’ont assurée de leur soutien en m’incluant dans la famille de l’IBA comme athlète neutre. Ils m’ont aussi intégrée à leur programme d’aide financière aux boxeurs.

Une suspension à vie, la sanction est extrême…

Je le pense aussi. Un athlète dopé est suspendu deux ans, voire quatre, mais jamais à vie pour une première infraction. Mon seul tort est d’avoir voulu défendre mes chances aux championnats du monde, alors que ma fédération avait décidé, pour des raisons politiques, de boycotter l’événement.

Comment expliquez-vous la sévérité de la sanction ?

L’ex président de la fédération néerlandaise, Boris van der Vorst (actuel président de World Boxing, ndlr), voulait faire un exemple. Montrer aux autres boxeurs que rester dans le camp de l’IBA pouvait avoir des conséquences très sérieuses. Il voulait leur faire peur. Je sais que plusieurs autres filles de l’équipe souhaitaient aussi se rendre aux Mondiaux en Inde. Mais la crainte d’une sanction les a fait renoncer.

Aujourd’hui, comment pouvez-vous poursuivre votre carrière ?

C’est très difficile. Je m’entraîne pour l’essentiel chez moi, avec mon père qui est aussi mon coach, et mon entraîneur Semmy Pattiwael. Je suis engagée comme athlète neutre dans les tournois ayant le label de l’IBA. J’ai ainsi pu combattre en France, en Pologne, au Monténégro. Et je suis financièrement aidée par l’IBA, notamment pour l’entraînement, les déplacements et la participation aux compétitions.

Avez-vous songé à faire appel de votre suspension, devant le tribunal arbitral du sport par exemple ?

J’y ai pensé, mais faire appel devant le TAS n’est pas dans nos moyens. Il en coûte 10.000 dollars. J’ai fait appel devant une commission de la fédération néerlandaise de boxe. Ma première démarche n’a reçu aucune réponse. J’ai envoyé une deuxième lettre. Il m’a été répondu que la suspension était valable et restait effective. J’ai également sollicité le comité national olympique. Là, on m’a expliqué que mon cas dépendait de ma fédération.

Aujourd’hui, que réclamez-vous ?

Je suis devenue une athlète neutre, j’aimerais en avoir le statut pour défendre mes chances pour une qualification olympique. Ma situation est unique, elle devrait pouvoir trouver une solution. Le CIO pourrait créer une équipe d’athlètes neutres qui, pour des raisons politiques, se retrouvent exclus comme moi de leur pays ou de leur fédération. Une équipe de réfugiés sportifs.