— Publié le 20 avril 2025

« Le biathlon est le sport d’hiver numéro 1, on doit commencer à agir de la sorte ! »

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La dernière danse des frères Boe, le couronnement de Sturla Lægreid, le duel irrespirable entre Franziska Preuss et Lou Jeanmonnot pour le gros globe… La saison de biathlon a une nouvelle fois rythmé l’hiver de millions de passionnés, ce qui s’est vu sur les audiences des diffuseurs et sur les plateformes de l’IBU. Loin de se reposer sur ses lauriers, la fédération a récemment annoncé plusieurs innovations, notamment la création d’un festival à Munich et la modification du calendrier de la Coupe du monde en intégrant des courses pendant les fêtes de fin d’année. Max Cobb, secrétaire général de l’IBU, a accordé un long entretien à Francs Jeux, dont la première partie est consacrée aux enjeux et aux contours de cette stratégie.


L’IBU lancera la première édition du Loop One Festival en octobre à Munich. Quel est l’objectif de ce type d’événements ?

Le festival va nous permettre d’avancer vers plusieurs objectifs. Le premier, amener le biathlon dans un environnement urbain pour la toute première fois. L’agglomération de Munich compte environ 6 millions d’habitants, jamais le biathlon n’est venu dans un endroit aussi densément peuplé. C’est très excitant pour nous ! Nous voulons rendre le sport plus accessible pour plus de gens, et attirer un public plus jeune, les 18-34 ans, mais aussi des enfants et des familles, qui peuvent venir et vivre l’excitation du biathlon sur place. Toute la piste, qui fait un peu plus d’un kilomètre, est accessible gratuitement. Nous donnerons aussi la possibilité aux gens d’essayer le biathlon avec des carabines optiques ou laser, à combiner avec de la course à pied. Cela fait partie de notre programme Biathlon4All. Cela aide nos clubs et nos fédérations à recruter, et cela permet d’élargir notre base de fans. S’ils essayent notre sport, ce sera plus facile de les faire aimer le biathlon.

Nous avons commandé une étude sur nos fans de la Gen Z : pourquoi ils aiment notre sport, comment ils l’ont connu, etc. En parlant avec eux, nous pouvons adapter nos efforts pour attirer plus de jeunes. Nous sommes encore au stade de l’analyse des données mais on peut déjà retenir un point : quand on leur demande pourquoi ils regardent le biathlon, le premier motif qui revient, c’est que c’est excitant. Nous sommes reconnus en tant que sport passionnant, où tout peut basculer à chaque passage sur le pas de tir. C’est très encourageant car cela signifie que nous avons « seulement » à exposer notre sport auprès des gens pour qu’ils nous rejoignent en tant que fans. Je dis « seulement », mais cela nécessite quand même de s’y mettre !

Quel est le profil moyen du fan de biathlon aujourd’hui ?

Cela dépend de quels fans on parle. Si l’on considère ceux qui se déplacent pour les compétitions, la majorité a entre 25 et 50 ans. Si l’on considère ceux qui regardent le biathlon à la télévision, une majorité a plus de 50 ans. Nous ne sommes pas les seuls confrontés à une telle situation démographique. Ce qui est encourageant pour nous, c’est que cela reste relativement stable. Mais ce dont nous sommes le plus fiers, c’est l’équilibre entre hommes et femmes : l’intérêt est similaire pour les courses masculins et féminines. Cet équilibre se voit aussi chez nos fans puisque nous avons presque autant de femmes qui suivent nos compétitions (47%) que d’hommes (53%). Nous avons vendu 3.500 tickets pour le Loop One Festival, la tribune principale est déjà complète, et la majorité des acheteurs sont des femmes, nous en sommes très fiers. On ne voit pas forcément ça dans d’autres sports, qui sont davantage dominés par les hommes.

« Le week-end avant Noël, les familles sont occupées à préparer les vacances, à faire du shopping, etc. En revanche, le week-end suivant est plus propice pour regarder du sport. »

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Autre innovation au calendrier : un week-end de Coupe du monde pendant les fêtes de fin d’année, entre fin décembre et début janvier. Pourquoi ce créneau est-il pertinent pour vous ?

Nous essayons de réfléchir à une façon d’ajuster le calendrier pour toucher autant de fans que possible. Nous savons, sur la base de nos recherches et de l’expérience d’autres sports, que les familles se rassemblent et regardent du sport ensemble entre Noël et le Jour de l’an. Le week-end le plus proche du Nouvel an est l’un des moments les plus porteurs de l’année en termes d’audiences. On s’attend à une hausse de 20 à 40 % de nos audiences. Dans le cadre de notre étude sur le Gen Z, nous avons demandé aux jeunes comment ils avaient commencé à regarder du biathlon. La majorité répond qu’ils regardaient le biathlon en famille étant petit. Et il n’y a pas de meilleur moment pour regarder du sport en famille que le week-end le plus proche du Nouvel An. Nous espérons que cela aidera à stimuler encore plus les jeunes générations.

Les succès du Boxing Day anglais ou de la NFL vous ont influencé ?

Oui, bien sûr, tout comme les Championnats du monde juniors de hockey sur glace, les fléchettes et la Tournée des quatre tremplins en saut à ski. C’est une fenêtre bien chargée, mais l’un de nos diffuseurs dans les pays nordiques nous a rappelé une chose : « Le biathlon est le sport d’hiver numéro 1, vous devez commencer à agir de la sorte ! » Et donc être un peu plus agressif (rires). Les diffuseurs nous demandent depuis des années d’y réfléchir. Nous savons que les athlètes ont aussi besoin de temps pour s’entraîner en décembre, donc nous avons décidé de leur laisser le week-end précédant Noël. C’est un sujet controversé chez les athlètes, honnêtement ils n’étaient pas très enthousiastes.

Puisqu’ils n’étaient pas vraiment de notre côté, nous avons pris notre temps pour analyser les choses. Nous avons conclu que le week-end avant Noël n’est généralement pas un grand week-end de sport car les familles sont occupées à préparer les vacances, à faire du shopping, etc. En revanche, le week-end suivant est plus propice pour regarder du sport. Donc nous avons pris cette décision, mais nous irons pas à pas : nous allons tester cette formule deux fois au cours des quatre prochaines années et nous ferons un bilan. Si l’augmentation des audiences n’est pas conforme à nos attentes, ou si les équipes éprouvent trop de difficultés à gérer leur entraînement, nous pourrons changer notre approche.

« Nous sommes en train d’étudier la question d’une simulation indoor de notre sport, avec la combinaison d’un élément physique et du tir. »

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L’IBU a également déployé beaucoup d’efforts pour renforcer sa présence numérique. Quelle est votre approche à l’égard de l’eSport ?

Nous en sommes au tout début en termes de gaming. Nous avons lancé cette année la biathlon eCup en collaboration avec PowerPlay. C’est une expérimentation, mais nous avons vu beaucoup d’intérêt de la part de nos fans, à un niveau que nous n’attendions pas. Cela nous encourage à explorer des solutions de gaming. Nous sommes le sport d’hiver le plus suivi mais nos fans sont surtout en Europe. Pour soutenir financièrement le développement d’un excellent jeu de biathlon, nous devrions avoir une base de fans mondiale. Nous ne sommes pas assez grands pour mobiliser les investissements nécessaires à la création d’un jeu de biathlon exceptionnel, mais nous avons toujours l’intention de proposer quelque chose de ce genre à nos fans. Notre étude montre que les jeunes aimeraient avoir un jeu auquel ils pourraient jouer avec leurs amis. La plupart du temps, leurs amis ne connaissent pas le biathlon. S’ils veulent parler de sport avec leurs amis, ils parlent plutôt de football parce que c’est universel. Nous sommes très intéressés pour trouver une voie, nous travaillons au développement d’un jeu global qui puisse être joué sur le téléphone.

Les Jeux olympiques de l’eSport sont-ils dans vos plans ?

Nous avons invité la présidente de la Fédération norvégienne d’eSport à participer à notre Sommet des partenaires et nous avons eu des discussions très intéressantes. On pourrait utiliser des plateformes de gaming existantes pour créer un jeu de biathlon qui fonctionnerait. Nous réfléchissons aux possibilités d’utiliser une simulation physique de biathlon comme l’ergomètre de Concept2, qui reproduit l’effort du ski de fond, et de l’associer à un jeu de tir sur cibles déjà existant. Des cibles qui ne sont pas vivantes, bien évidemment ! C’est une suggestion que nous avons trouvé très pertinente. Les compétitions d’aviron indoor utilisent ce concept (Concept2 est partenaire des Championnats du monde d’aviron indoor, ndlr). La capacité d’avoir une mesure très précise de la distance parcourue est assez bluffante. Cela ouvre une possibilité vers une simulation indoor de notre sport, avec la combinaison d’un élément physique et du tir. Nous sommes en train d’étudier la question. Nous espérons trouver une bonne solution avant 2027 pour pouvoir participer.

Cela vous paraît possible d’être prêt en à peine deux ans ?

C’est très serré. La seule façon d’y arriver est d’avoir le soutien de la communauté de l’eSport. La présidente de la Fédération norvégienne a montré beaucoup d’enthousiasme et elle fait partie de l’organisation européenne de l’eSport donc c’est plutôt encourageant. Les deux fondateurs de Concept2 sont des rameurs olympiques et dans leur famille, trois enfants sont des biathlètes, donc ils ont des affinités avec le biathlon. Si l’on peut allier la communauté eSport et Concept2, alors nous pourrons peut-être trouver une voie rapide. Sinon, cela prendra plus de temps.