
« Notre mission est plus cruciale que jamais, ouvre Christelle Luisier Brodard, présidente du Conseil d’Etat vaudois et ministre en charge des Sports. L’Euro a été un succès pour le football, la Suisse et le développement du football feminin, et les programmes d’accompagnement nous ont permis de donner plus d’opportunités aux jeunes filles de jouer plus, et d’opportunités aux femmes de mener (le jeu).»
La Conférence “Egalité des genres et Sport 2025” s’est tenue au IMD de Lausanne cette semaine. Rassemblement annuel des esprits les plus disruptifs de la cause, elle a permis de préciser l’état de l’art, et surtout d’affiner différents narratifs. La présidente du Global Observatory for Gender Equality and Sport, Felicite Rwemarila, membre du CIO qui a commencé comme infirmière au Rwanda avant de présider plusieurs associations dont la commission foot feminin de la Fédération rwandaise, ne dit pas autre chose. « Cette conférence est un espace pour amplifier les voies, partager des expériences et s’engager dans l’action. Il est important de « dessiner des narratifs » de ce que l’on partage !”
Florilège d’idées à assimiler pour avancer sur le sujet
- “Transformer la data en actions utiles au sport”, tel est l’aiguillon du Dr Lombe Mwamba, CEO de l’Observatoire mondial, à travers un hub de la connaissance, qui explore aussi la carte mondiale des politiques nationales et locales, proposant des outils de partages de bonnes pratiques et méthodologies, “qu’elles concernent le sport ou non, du moment qu’elles ont un impact et peuvent être utiles au sport.”
- “Créer des événements qui sont des concepts”, tel “She Runs, une course de 4km qui regroupe près de 3000 jeunes filles et qui propose ateliers et activités culturelles, prises de paroles inspirantes et de mentorat pour 80 jeunes filles sélectionnées. “L’idée est de transformer l’inspiration à participer à un événement en impact : entraîner des jeunes est utile, mais entraîner et former des éducateurs permet de toucher ensuite des milliers d’enfants”, explique Hasnae El Hayoubi, de l’International School Sport Federation.
- “Rendre les parties prenantes proactives”, dixit le Dr Decious Chopande, du Conseil du sport de l’Union africaine. “Le rôle d’un gouvernement est certes de développer un cadre et créer un environnement de politiques qui font la promotion de l’inclusion, mais ce qui ne marche pas à date, c’est que toutes les parties prenantes ne sont pas assez proactives pour rendre tout le monde responsable et comptable des actions à tous les niveaux.”
- “Poser les bonnes questions” : Nikki Dryden, avocat des droits humains et du sport, veut sortir du réflexe de la mention “Diversité, Egalité, Inclusion” (DEI) qui peut parfois être l’arbre qui cache la forêt :”Il faut aller au coeur du problème : qui contrôle le sport? Quelles voix sont exclues? Quels privilèges sont en place ?
- “Aller sur le terrain. Vraiment”. Hugh Torrence, de la fédération européenne Gay et Lesbienne considère que c’est un challenge de “bien comprendre ce qui se joue sur le terrain, au-delà de ce que la loi d’un pays est censée imposer sur les discrimations liées a l’orientation sexuelle.” Tout comme Angela Mantilla, de la Fondation Adidas, qui rappelle que c’est sur le terrain “qu’on apprend de nos partenaires comment ils engagent leurs communautés.”
- “Repérer les experts présents sur site”, selon Kisty Forsdike et créer, comme c’est le cas en Australie, une double campagne de communication avec des messages pour la communauté locale et un autre niveau de réponse nationale, visuelle et impactante, pour embarquer tous les niveaux d’acteurs.
- “S’assurer que les ministères en charge puissent intervenir sur les thèmes de la santé, de la justice, de la sécurité… “ Un accompagnement dans l’atteinte d’objectifs et la mise en place de solutions pratiques signée l’Unesco, comme détaillé par Victoire Aimé, qui a lancé par ailleurs une étude à laquelle chacune et chacun peut contribuer, autour du programme The Fit for Life Global Alliance.
- “Augmenter le nombre de coachs femmes”, par la joueuse de rugby Toluiva Keneti, du programme Lakapi Samoa, le tout accompagné de techniques de coaching genré, de groupes de discussion, de l’observation et du co coaching / mentorat.
- “Repérer les premiers signaux, partager les responsabilités…” : Mathilde Grenet, fondatrice d’En Garde, a fait de la solution aux problèmes d’agressions sexuelles dans le sport le combat de sa vie.
- “Lever les résistances culturelles au sein des Fédérations”, par JulesMcGreever Equal Careers. L’ASOIF a mené une étude auprès de cadres d’institutions sportives dans 69 pays, à différents niveaux de gouvernance. Résultat de la mise en place de quotas ? 67% des femmes ont vu leur leadership augmenter contre 41% seulement sans quotas.
- “Toujours contextualiser l’expérience des femmes” : le Dr Nana Adom Aboagye déplore un manque d’intersectionnalité et veut mettre la lumière sur qui est autour de la table lorsque des décisions sont prises. L’ethnicité, le tribalisme, l’orientations sexuelle (“être queer est interdit dans de nombreux pays d’Afrique, faut-il le rappeler…”) sont autant de critères nécessaires afin de mettre le storytelling et l’engagement initial au bon endroit.
- “Se servir d’athlètes au rayonnement extraordinaire”, comme Bernadette Zeka Eulu, de la Fondation d’Héritage Racheal Kunfananji, du nom de la joueuse Zambienne ayant été le transfert de football le plus cher de l’histoire du foot féminin…
- “Se dire qu’il y a toujours un endroit pour faire la différence, quelles que soient les contraintes”, par la nageuse de Louisiana State University, Maggie McNeil.
- “Ne pas se focaliser uniquement sur les cycles de menstruation” : Katrine Okholm Kryger, de l’UEFA, est venue modifier une idée reçue en proposant de beaucoup mieux tracker les hormones que les menstruations pour avoir un très bon indicateur général de santé avant tout. “Les blessures, ruptures des ligaments croisés et les menstruations ne sont pas les seules moyens d’évaluer la santé mentale et physique des joueuses de football…” Et de rappeler que, pendant l’Euro en Suisse, des messages étaient affichés dans les toilettes normalisant les menstruations pour décomplexer les jeunes filles présentes au stade. Reste, comme l’a rappelé Madeleine Pape, à parler aussi des femmes après la ménopause…
- “Continuer le combat, même si Paris 2024 a mis la barre assez haut en termes d’égalité de genre” : Primrose Mhunduru rappelle qu’il y a eu 30% d’augmentation de représentation féminine dans les comités exécutifs. Et que 96% des CNO avaient une porteuse de drapeau !
- “Accepter de ne pas satisfaire tout le monde !” : Andre Oliveira, de la Fédération International de Hockey, raconte comment “le fait de faire arbitrer un match de hockey masculin par une Égyptienne ne s’est pas fait du tout en arrivant avec un agenda spécifiquement féminin ou militant, mais avant tout sportif, et beaucoup de pédagogie…”

Enfin, la palme de la parole libre a été attribuée, et de manière officieuse, à l’incroyable judokate afghane Friba Rezayee, désormais réfugiée au Canada, de l’association Women Leaders of Tomorrow. Entre des anecdotes sur sa compétition, elle qui a eu “la chance de passer au même moment que le film Mulan à la télévision”, et la mobilisation des jeunes filles à l’aéroport à son retour des Jeux, elle incarne un message fort : “Les femmes afghanes n’ont pas l’opportunité de réaliser leur potentiel car on a toujours été limitées. Les fédérations sont sous contrôle des talibans avec fatwa et punition si on pratique un sport. On n’est pas reconnu par la Fédération internationale car il faudrait être reconnu par notre propre fédération… qui ne nous reconnaît pas du coup. Il faut se battre sur le terrain légal, donc on leur demande de nous reconnaître, sans condition.”