— Publié le 29 mai 2023

« L’olympisme n’est pas du sport »

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Paradoxe. Jusqu’en 2019, la France ne comptait pas le moindre Centre d’études olympiques. Le CIO en recensait alors 43 un peu partout dans le monde. Mais pas un seul dans la patrie du baron Pierre de Coubertin, deux ans après l’attribution à Paris des Jeux d’été en 2024.

Cet « oubli » de l’histoire est aujourd’hui réparé. Un Centre d’études et de recherches olympiques universitaires (CEROU) a vu le jour en décembre 2019 à Besançon, dans l’est de la France. Hébergé depuis sa création par l’Université de Franche-Comté, il est dirigé par Eric Monnin, par ailleurs membre de la commission de l’éducation olympique du CIO. Pour FrancsJeux, il a promené un regard universitaire sur le mouvement olympique, son évolution et ses défis.

FrancsJeux : Qu’enseigne-t-on dans un Centre d’études olympiques ?

Eric Monnin : A Besançon, le CEROU est organisé autour de quatre axes stratégiques : l’enseignement, la promotion de l’olympisme, l’expertise et la recherche. L’olympisme est un univers extrêmement diversifié. Ca n’est pas du sport, mais un objet frontière où sont réunis des acteurs très nombreux. En Master, un étudiant se concentre sur le programme TOP du CIO, pour essayer de comprendre ce que ses membres retirent de leur partenariat. Un étudiant en doctorat s’intéresse à la place du chronométrage aux Jeux. Un autre travaille sur les affiches des Jeux olympiques, et la façon dont les pays s’en servent pour la promotion de leur richesse culturelle. Nous étudions aussi la place de la francophonie, les Jeux et l’Antiquité, la gouvernance…

Abordez-vous les questions politiques ? La Russie et la Biélorussie ?

Bien sûr. La politique a toujours été présente dans le mouvement olympique. Elle l’est depuis l’origine. La Turquie a boycotté les Jeux d’Athènes en 1896 en raison de son conflit avec la Grèce sur la fin de l’Empire Ottoman. Nous évoquons donc, au CEROU, la question russe et biélorusse. Mais en le mettant en perspective, car il ne faut pas oublier que le monde compte aujourd’hui 70 conflits, armés ou politiques.

La Russie et la Biélorussie seront-elles présentes aux Jeux de Paris 2024 ?

La question ne devrait pas concerner le CIO, mais les Nations Unies. Il leur revient d’adopter une résolution pour autoriser, ou interdire, la Russie et la Biélorussie aux Jeux de Paris 2024. Elles l’avaient fait dans les années 60 pour bannir l’Afrique du Sud du mouvement olympique en raison de sa politique d’apartheid. Mais la Russie, comme la Chine, siègent aujourd’hui au conseil de sécurité de l’ONU…

Le mouvement olympique traverse-t-il aujourd’hui un cycle dominé par les questions politiques ?

Non. Le cycle actuel, depuis le début des années 2000, est dominé par la durabilité, la sauvegarde de la planète. Paris 2024 en est une illustration. Pour la première fois dans un grand événement sportif, l’électricité sur les sites de compétition ne sera pas assurée par des générateurs. C’est un exemple parmi d’autres. Le cycle précédent, entre Los Angeles 1984 et Sydney 2000, était plus économique. Mais, inévitablement, la politique continue de s’inviter. Le mouvement olympique ne peut pas s’en défaire. Les Jeux d’hiver de Sotchi, en 2014, l’ont démontré. A ce jour, ils restent les derniers à avoir été voulus et pensés comme une vitrine de l’Etat.

Les pays-hôtes des Jeux insistent souvent sur l’impact de l’événement sur la société, notamment en termes de pratique sportive. Cet impact est-il réel ?

Il est réel mais souvent éphémère. Le soufflet retombe vite. Le CIO l’a compris. Depuis 2003-2004, il travaille beaucoup sur l’héritage intangible des Jeux olympiques. Paris 2024 me semble aller dans cette voie, avec les 30 minutes quotidiennes de sport à l’école, la Génération 2024. Le COJO essaye de contribuer à la mise en place d’une incitation à la pratique sportive. L’avenir dira si ses efforts ont porté leurs fruits.

Quelle est pour vous l’édition la plus marquante des Jeux olympiques ?

J’en citerai trois. Les Jeux de Stockholm en 1912. Ils ont fait la part belle aux compétitions culturelles, tout en donnant naissance au concept du camp olympique de la jeunesse, toujours d’actualité aujourd’hui. Ces Jeux ont réussi le mélange du travail du travail du corps et de l’esprit. Plus récemment, les Jeux de Barcelone en 1992. Ils ont été les premiers Jeux universels, avec la présence de la Dream Team et d’une équipe de la CEI, la Communauté des états indépendants, après l’éclatement du bloc soviétique. Barcelone 1992 a été une révolution sportive, mais aussi urbanistique. Enfin, les Jeux d’hiver de PyeongChang 2018, où l’idée très utopique d’une équipe coréenne unifiée a été concrétisée à la cérémonie d’ouverture (photo ci-dessus).

Les Jeux olympiques peuvent-ils être un outil au service de la paix ?

Ils sont un outil pour réunir toutes les nations du monde. L’ONU compte aujourd’hui 193 pays, le CIO en recense 206. En rassemblant autant de personnes en un même lieu, on facilite le dialogue et la discussion. Aux Jeux d’Helsinki en 1952, l’URSS et ses pays satellites ont participé pour la première fois. Tout le monde a été réuni. Les grands événements sportifs internationaux permettent d’initier une autre vision de la société. C’est pourquoi je suis pour la participation de tous les athlètes, quitte à ce que certains soient présents sous statut neutre.