— Publié le 3 octobre 2022

Un retour des athlètes russes, mais seulement les pacifistes

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La porte s’ouvre. Timidement, mais elle s’ouvre. En visite la semaine passée à Rome, Thomas Bach a confirmé une information rapportée deux semaines plus tôt par la présidente du Comité olympique et paralympique américain (USOPC), Susanne Lyons : le CIO planche actuellement sur un possible retour des athlètes russes dans les compétitions internationales.

Thomas Bach l’a expliqué au quotidien italien Corriere della Sera : le CIO doit « penser à l’avenir« . Il doit se projeter sur les Jeux de Paris 2024, pour lesquels certaines épreuves de qualification ont déjà débuté, sans les athlètes russes et biélorusses.

« Il s’agit de faire revenir en compétition des athlètes avec un passeport russe qui ne soutiennent pas la guerre, a suggéré Thomas Bach. Mais il faut être clair : l’idée n’est pas de réintégrer la Russie. C’est notre dilemme, car nous savons bien que cette guerre n’a pas été déclenchée par les athlètes russes. Nous devons voir, étudier, surveiller, comment et quand nous pourrons mener à bien notre mission de faire revenir tout le monde. Je pense que notre contribution majeure est que les Jeux olympiques, et le sport en général, restent quelque chose qui unifie les gens et l’humanité. »

Thomas Bach a également confirmé que cette nouvelle approche de la question russe était le résultat d’une vaste consultation des autres acteurs du mouvement olympique.

Question : comment les athlètes russes devront-ils s’y prendre pour exprimer qu’ils ne soutiennent pas la guerre en Ukraine ? Thomas Bach n’a pas répondu. La réponse s’annonce complexe, surtout après le nouvel appel à la mobilisation de 300.000 réservistes décidée par Vladimir Poutine pour renforcer les troupes russes. Deux grands noms du sport russe, l’ex-boxeur poids lourd Nikolay Valuev et le joueur de football Diniyar Bilyaletdinov, font partie des derniers appelés.

La porte est ouverte, donc. A moins de deux ans des Jeux de Paris 2024, le CIO « étudie et surveille« . Seul ennui, mais de taille : son approche ne semble pas la bonne pour « faire revenir » tout le monde dans le giron olympique. Au moins d’un point de vue russe.

Les propos de Thomas Bach au quotidien italien tout juste traduits et partagés, les réactions se sont multipliées à Moscou. Dans tous las cas, un même son de cloche : le CIO ne peut pas demander aux athlètes russes de prendre position contre leur pays, donc de bafouer le principe de neutralité inscrit en belles lettres dans la Charte olympique.

« La remarque de Thomas Bach contredit les principes olympiques, car la tâche essentielle du mouvement olympique international est de garantir l’égalité d’accès des athlètes aux Jeux olympiques, quelles que soient leurs opinions, leurs traditions, leur foi ou leur citoyenneté », a suggéré le ministre russe des Sports, Oleg Matytsin.

« Dans cette situation, créée artificiellement par les recommandations de la commission exécutive du CIO, nos athlètes sont contraints de violer les lois de leur pays et la Charte olympique, s’emporte Stanislav Pozdnyakov, le président du Comité olympique de Russie (ROC). On leur demande d’échanger leur nationalité et leur position civique contre le statut humiliant d’athlète neutre sur la scène internationale« .

Selon le vice-Premier ministre russe, Dmitry Chernyshenko, ex président du comité d’organisation des Jeux d’hiver de Sotchi 2014, les athlètes russes sont des patriotes. Ils ne « vendront jamais » leur patrie.

« Depuis plusieurs années, nos athlètes ont fait l’expérience de l’attitude préjudiciable des organisations sportives internationales, y compris le CIO, a-t-il commenté. Leur retrait des compétitions internationales en a été le point culminant. Qu’ont obtenu nos adversaires ? Ils ont privé le monde du sport d’objectivité, de compétition saine et de divertissement. »

Même réaction indignée dans les fédérations sportives russes. Pour le président de la fédération de lutte, Mikhail Mamiashvili, l’initiative suggérée par Thomas Bach revient à demander aux athlètes de trahir leur pays. « On nous propose de reconnaître que chacun d’entre nous est un Judas, de renoncer à notre État, explique-t-il. Je doute que les principes olympiques soient fondés sur la trahison« .

Mauvais hasard du calendrier : les déclarations de Thomas Bach au Corriere della Sera sont intervenues au moment où le CIO publiait la liste détaillée des membres de ses commissions. On y découvre, en plus des deux membres russes du CIO – Yelena Isinbayeva et Shamil Tarpischev – au moins deux autres Russes : l’ex sprinteur Valeriy Borzov à la commission Culture et patrimoine olympique, et surtout Vladimir Lisin à celle des Revenus et partenariats commerciaux.

Vladimir Lisin, un milliardaire proche du Kremlin, préside toujours la Fédération internationale de tir (ISSF), malgré les recommandations du CIO de suspendre les athlètes et dirigeants russes du mouvement sportif. Il siègera donc aussi dans une commission de l’instance olympique. Deux poids, deux mesures.