— Publié le 23 septembre 2020

« Je voulais réagir, pousser un coup de gueule »

Événements Focus

Ambiance. A moins de quatre ans de l’événement, les Jeux de Paris 2024 ne font pas l’unanimité parmi les « élites » françaises. La semaine passée, un collectif d’une trentaine d’intellectuels a publié dans Le Monde une tribune résolument anti-Jeux, ainsi titrée : « Il est irresponsable de dilapider l’argent public dans une opération de prestige pharaonique. » Elle y critiquait, en vrac, le coût de l’événement pour les contribuables, l’affairisme et la corruption dans l’univers olympique, le CIO, le dopage dans le sport, et le bilan carbone record des Jeux en 2024.

Le mouvement sportif français n’est pas resté sans réaction. A l’initiative de Jean-François Lamour (photo ci-dessus), l’ancien ministre des Sports (2002 à 2007), champion olympique d’escrime en 1984 et 1988, près de 140 personnalités du monde sportif ont cosigné une contre tribune, publiée en début de semaine dans Le Monde. Son titre : « Pourquoi opposer le sport et la culture, alors qu’ils devraient être deux piliers d’épanouissement ? »

Jean-François Lamour en a expliqué à FrancsJeux la motivation, mais aussi les raisons de cette défiance culturelle d’une partie de l’intelligentsia française à l’égard du sport et des sportifs.

FrancsJeux : Pourquoi avez-vous tenu à réagir à la tribune anti-Paris 2024 publiée la semaine passée dans Le Monde ?

Jean-François Lamour : Cette cohorte de pseudo intellectuels s’en est donnée à cœur joie dans la critique, sans la moindre nuance, des Jeux et du sport de haut niveau. Tout y est passé : le coût, l’inefficacité d’organiser un événement de cette dimension… Cette tribune est le reflet du rapport que les élites françaises entretiennent avec le sport. Il est perçu comme une activité accessoire, une variable d’ajustement, notamment dans le système scolaire. Leur regard sur le sport est toujours très critique. Elles en dénoncent tous les travers. Mais quel domaine d’activité ne révèle aucun travers ? Ces pseudo intellectuels veulent se payer les sportifs. C’est un mal très français, un mépris de classe. Je voulais réagir, pousser un coup de gueule. Je suis heureux de voir qu’il a rencontré un certain succès, avec près de 140 signataires.

Dans leur tribune, les anti-Jeux s’en prennent une nouvelle fois au coût des Jeux…

Ils dénoncent l’argent public dépensé dans les Jeux. Cette critique est non seulement fausse, mais surtout dénuée de la moindre analyse. Où va l’argent public destiné aux Jeux ? Il va à la construction de logements sociaux en Seine-Saint-Denis, d’une piscine olympique dans le même département, de deux piscines temporaires dans les Hauts-de-Seine, qui seront ensuite démontées pour être installées en Seine-Saint-Denis. Je ne vois pas où un seul euro d’argent public est mal dépensé avec de telles réalisations. Quant au village des médias, il sera constitué de logements intermédiaires dont le maire de Dugny a le plus besoin. Bien sûr, on peut penser qu’il y aura des dépassements de budget, mais ils seront liés à la hausse du coût de la construction et aux estimations budgétaires qui ont été un peu sous-évaluées par Paris 2024. Mais ces dépassements seront limités.

Les critiques des anti-Jeux peuvent-elles avoir un impact, notamment dans l’opinion ?

Bien sûr. Elles sont préjudiciables, notamment pour la recherche de futurs partenaires. Ces attaques ont beau être fausses et mal informées, elles créent un bruit de fond négatif à l’égard des Jeux. C’est pourquoi je pense qu’il ne faut pas laisser les gens écrire n’importe quoi et parler à tort et à travers. Je sais que le COJO ne souhaitait pas réagir, mais je crois qu’il est important pour le mouvement sportif de faire entendre sa voix face aux opposants.

Les élites dont vous parlez ne sont pas seulement politiques ou intellectuelles, mais aussi économiques. Ce « mal français » peut-il perturber la recherche de partenaires privés pour les Jeux de Paris 2024 ?

Le patriotisme économique est nettement moins présent en France qu’au Japon, par exemple. C’est une évidence. Et la conjoncture actuelle ne facilite pas le travail du COJO. Les entreprises sont de plus en plus regardantes à investir des dizaines de millions d’euros dans le sport, alors qu’elles se trouvent dans une situation économique difficile. Le sport n’a pas bonne presse. La culture bénéficie d’un regard nettement plus bienveillant. A lui seul, le football draine 85 % des flux financiers du sport de haut niveau. Pour les autres disciplines, trouver des partenaires reste très compliqué.

A quatre ans de l’événement, les Jeux de Paris 2024 sont-ils bien « vendus » à l’opinion publique ?

Ils sont vendus comme ils peuvent l’être à l’heure actuelle. Le COJO fait ce qu’il peut, dans un contexte très difficile avec le COVID-19 et la crise économique, dans une France et un monde où il manque un leadership politique fort. Le COJO navigue un peu à vue au milieu de tout cela, avec un donneur d’ordre, le CIO, dont la priorité est de protéger les anneaux olympiques. La situation est très complexe. Et puis, il est très difficile de vendre un projet 7 ou 4 ans à l’avance. L’opinion publique ne sait pas se projeter aussi loin.