— Publié le 30 avril 2020

Le président du CIO, Thomas Bach, écrit au mouvement olympique sur le thème : Olympisme et coronavirus

Communiqué

« Avec la pandémie de COVID-19, nous vivons tous dans une grande incertitude.

À ce moment précis, cette incertitude est loin de se dissiper. Nous commençons tous à peine à comprendre les conséquences considérables de la crise provoquée par la propagation du coronavirus dans le monde entier. Une chose est certaine, toutefois, c’est que cette pandémie a touché et touchera tous les secteurs de la société, y compris nous tous dans le milieu du sport et ce de manière significative.

À cause de la propagation du virus à l’échelle mondiale, les Jeux Olympiques de Tokyo 2020 ont dû être reportés à 2021, une décision historique qui a été prise afin de préserver la santé des athlètes et des centaines de milliers de personnes participant aux Jeux.

À cet égard, je tiens à transmettre à chacun d’entre vous mes sincères remerciements et ma reconnaissance pour votre ferme soutien à la décision de la commission exécutive du CIO de reporter les Jeux de Tokyo 2020, décision que nous avons prise avec nos partenaires et amis japonais. Compte tenu des circonstances difficiles auxquelles nous sommes tous confrontés actuellement, le soutien très large et général à cette décision n’était pas acquis d’avance. C’est pourquoi l’appui manifesté par les 206 Comités Nationaux Olympiques (CNO), toutes les Fédérations Internationales des sports olympiques d’été (FI), ainsi que par la commission des athlètes du CIO et les commissions continentales d’athlètes, en faveur de ce report historique est une formidable illustration de l’unité du Mouvement olympique face à cette situation sans précédent.

GESTION DE LA CRISE DU CORONAVIRUS

Un autre défi sans précédent nous attend désormais : l’organisation de ces Jeux Olympiques aux dates nouvellement fixées. Il s’agit d’une première dans notre longue histoire olympique, et c’est là une tâche immense pour le Comité International Olympique, nos partenaires et amis japonais, et tous les membres de notre communauté olympique.

Cette situation inédite exigera que nous nous montrions solidaires, créatifs, déterminés et flexibles. Nous devrons tous faire des sacrifices et des compromis. Des circonstances extraordinaires appellent des mesures extraordinaires. Cette situation exige que chacun d’entre nous fasse sa part et cela vaut pour nous tous, y compris le CIO. En ce qui nous concerne, nous avons clairement indiqué que le CIO continuerait à assumer sa part de la charge opérationnelle et sa part des coûts pour ces Jeux reportés, selon les termes du contrat existant pour 2020 que nous avons conclu avec nos partenaires et amis japonais. Bien qu’il soit trop tôt pour donner un chiffre exact, nous savons déjà que nous devrons supporter plusieurs centaines de millions de dollars (USD) de coûts dus au report. C’est pourquoi il nous est également nécessaire d’examiner et de revoir tous les services que nous fournissons pour ces Jeux reportés.

Quant au soutien à apporter à la communauté olympique touchée par cette crise, nous menons déjà des discussions productives avec les athlètes, les CNO et les FI, ainsi qu’avec nos partenaires commerciaux et sponsors. Comme mesures immédiates, nous avons déjà prolongé toutes les allocations versées aux CNO pour couvrir leurs préparatifs en vue des Jeux. Ceci s’applique également aux 1600 athlètes des CNO et de l’équipe olympique des réfugiés bénéficiant d’une bourse pour les Jeux.

Le groupe de travail conjoint au nom symbolique « Here we Go » travaille déjà à plein régime de manière très professionnelle. Il a établi les priorités et les stratégies de gestion pour assurer la faisabilité et la réussite de ces Jeux Olympiques reportés. Ces priorités comprennent tout d’abord la création d’un environnement sûr sur le plan sanitaire pour l’ensemble des participants.

Nous pouvons sur ce point continuer à nous appuyer sur les conseils de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) concernant les éventuelles adaptations à effectuer à l’organisation des rassemblements de masse. Quant à la faisabilité, le CIO a communiqué au groupe de travail conjoint un large éventail de mesures de réduction des coûts.

En suivant cette stratégie, nous avons l’occasion unique de transformer la célébration à de nouvelles dates de Tokyo 2020 en véritable festival d’unité pour l’humanité et en symbole de la résilience humaine pour surmonter cette crise du coronavirus. Imaginez quel puissant signal d’espoir ces Jeux Olympiques constitueront pour le monde en ces temps sans précédent. La flamme olympique peut être la lumière au bout du tunnel obscur dans lequel l’humanité se trouve actuellement.

LE MONDE DE L’APRÈS-CORONAVIRUS

À l’heure actuelle, personne ne sait à quoi ressembleront les réalités du monde de l’après-coronavirus. Il est néanmoins évident qu’aucun d’entre nous ne sera probablement en mesure de maintenir chaque initiative ou événement que nous planifions avant que cette crise ne frappe. Nous devrons tous examiner de près la portée de certaines de nos activités et procéder aux ajustements nécessaires aux nouvelles réalités. Dans ce contexte, l’administration du CIO est en train de revoir le budget et les priorités de notre organisation. Le résultat de cet examen sera présenté prochainement à la commission exécutive du CIO pour discussion et approbation.

Le mot d’ordre qui était le nôtre lorsque nous avons lancé l’Agenda olympique 2020, et qui est inscrit sur le mur de la Maison Olympique – « Changer ou être changé », est plus adapté que jamais en cette période de crise. Aussi éprouvantes et difficiles que les circonstances puissent paraître aujourd’hui, si nous tirons les bonnes leçons de la situation actuelle, nous pourrons façonner notre avenir afin de renforcer la portée du Mouvement olympique dans le monde. C’est la raison pour laquelle nous devrions poursuivre les réformes engagées dans le cadre de l’Agenda olympique 2020, notamment dans le domaine de la durabilité, afin de faire face à cette crise.

Pour cela, en tant qu’organisation responsable, nous devrions avoir le courage de réfléchir à l’avenir du monde après cette crise. L’histoire nous enseigne que les grandes crises ou les bouleversements structurels, comme la pandémie du coronavirus, ont de profondes et vastes répercussions sur la société dans son ensemble. Aussi devons-nous imaginer le monde de l’après-coronavirus dans lequel se trouveront le sport, les valeurs olympiques et les Jeux Olympiques.

Pour l’heure, personne ne saurait prédire de quoi sera fait le monde de l’après-coronavirus. Mais si nous voulons être prêts, nous devons essayer de regarder plus loin. J’aimerais contribuer à cette discussion en apportant quelques éléments de réflexion : trois grands scénarios pourraient être envisagés, en gardant bien évidemment à l’esprit qu’ils ne sont nullement exhaustifs, ni susceptibles de se concrétiser dans leur forme la plus simple, mais qu’ils varieront en fonction du contexte national, régional et culturel.

Dans le premier scénario, la société tentera de continuer à vivre comme avant la crise. Dans ce scénario, la crise actuelle aggraverait très probablement les inégalités sociales et économiques déjà existantes. Trop d’inégalités et de dysfonctionnements dans trop de sociétés ont été mis au jour à travers cette crise. Le monde ne pourra pas les corriger en suivant aveuglément des algorithmes informatiques basés sur des données du passé, comme ce fut le cas lors de la crise financière de 2008. Cette crise est très différente. La surmonter exigera l’excellence, l’expérience et la créativité humaines.

Le deuxième scénario se caractérise en grande partie par une société et des nations mues encore davantage par l’égoïsme et l’intérêt personnel. Ce scénario pourrait conduire à des sociétés encore plus divisées, à plus d’inégalités, avec tous les risques que cela comporte sur le plan social pour les systèmes politiques. Il conduirait à une aggravation catastrophique des relations internationales, au protectionnisme et à la confrontation politique dans tous les aspects de la vie humaine : économie, sport, culture, aide humanitaire, tout se transformerait en outil politique dans cette confrontation politique.

Les principales caractéristiques du troisième scénario sont au contraire davantage de solidarité et de coopération internationale. Ce scénario signifierait que nous avons compris que nous ne pouvons pas prédire ou façonner l’avenir du monde en nous reposant uniquement sur la technologie et qu’aucun individu, aucun gouvernement, ni aucune nation ne peuvent résoudre seuls les grands problèmes auxquels est confrontée l’humanité. Ce scénario se traduirait par des efforts visant à partager équitablement entre les populations et les nations les épreuves subies à cause de cette crise et à encourager un ordre mondial équitable et coopératif.

Quels que soient les éléments de ces scénarios qui prédomineront, l’impact sur le sport et la société dans son ensemble sera considérable.

En étant liés par nos valeurs olympiques que sont la paix, la solidarité, le respect et l’unité dans toute notre diversité, nous pouvons apporter une contribution importante au monde de l’après-coronavirus. Nous pouvons le faire en nous appuyant sur des fondements solides. Grâce aux nombreuses réformes engagées à la suite de l’adoption de l’Agenda olympique 2020, nous bénéficions d’une stabilité à long terme, laquelle nous permet non seulement d’assumer notre part des coûts liés au report de Tokyo 2020, mais également de continuer à aider les athlètes et les parties prenantes olympiques. Mais gardons-nous de verser dans l’autosatisfaction. Le monde de l’après-coronavirus nous mettra face à d’autres défis, sur les plans social, économique et politique notamment. Nous devons par conséquent pousser plus loin l’Agenda olympique 2020 et l’adapter.

IMPACT SUR LE PLAN SOCIAL

Nous pouvons raisonnablement supposer que dans la société de l’après-coronavirus, la santé publique jouera un rôle beaucoup plus important. Le sport et l’activité physique contribuent largement à la santé. Si des études de l’OMS l’ont déjà prouvé avec des résultats remarquables s’agissant des maladies non transmissibles, la crise du coronavirus nous enseigne à quel point une situation sanitaire générale saine aide aussi à vaincre les maladies transmissibles. Le sport et l’activité physique sont peut-être les outils les plus économiques qui soient au service d’une société en bonne santé. À ce titre, le CIO est aussi sur le point de conclure un nouveau protocole d’accord avec l’OMS.

Nous pouvons aussi souligner l’importance du sport en faveur de l’inclusion et de l’intégration. Le sport est parfois la seule activité capable d’unir les populations, indépendamment de leur milieu social, de leur appartenance politique, de leurs croyances et de leur culture. Le sport est le ciment qui unit une société. Cette notion d’intégration est encore plus importante dans des sociétés au demeurant profondément divisées.

Nous devrons également réfléchir à ce que la distanciation sociale peut signifier pour nos relations avec les e-sports. Alors que nous maintenons nos principes en respectant la « ligne rouge » s’agissant des valeurs olympiques, nous encourageons encore plus instamment toutes nos parties prenantes à « examiner comment gouverner les formes électroniques et virtuelles de leurs sports et à étudier les possibilités offertes avec les éditeurs de jeux » (Déclaration du 8eSommet olympique du 7 décembre 2019). Certaines FI ont déjà fait preuve d’une grande créativité en organisant des compétitions à distance. Nous devrions renforcer ces initiatives et inciter notre groupe de travail conjoint à relever ce nouveau défi et à saisir cette nouvelle occasion.

IMPACT SUR LE PLAN ÉCONOMIQUE

Il ne fait aucun doute que la crise sanitaire actuelle conduira à une crise économique longue et profonde, dont l’effet sur le sport pourra varier d’un pays à l’autre. Cela dépendra en grande partie de l’importance que les gouvernements accorderont à l’énorme capital social que représente le sport lorsqu’il s’agira d’allouer l’aide financière fournie pour la relance de l’économie. C’est pourquoi nous demandons instamment aux gouvernements de reconnaître et de saluer l’immense contribution du sport à la santé publique, son importance pour l’inclusion, la vie sociale et la culture et son rôle important pour leurs économies nationales.

En Europe, par exemple, une étude menée récemment a montré que le sport contribuait à plus de 2% du PIB, une contribution qui rend le sport économiquement plus important qu’un certain nombre de secteurs économiques plus traditionnels. La même étude a révélé que près de 3% de tous les emplois en Europe sont liés au sport. Le sport est donc un gros employeur.

Cette étude, comme beaucoup d’autres, démontre que le sport n’a pas uniquement un rôle social positif à jouer, mais qu’il a aussi un rôle économique en aidant le monde à se remettre de la crise. Nous ne faisons pas partie du problème. Nous pouvons faire partie de la solution. Pour y parvenir, les gouvernements doivent intégrer le sport dans leurs programmes de soutien économique.

Toutefois, pour la plupart des manifestations sportives, comme pour tous les secteurs de la société, les choses ne pourront plus être comme avant. C’est pourquoi le CIO devrait renforcer encore davantage les réformes de durabilité et de faisabilité de l’Agenda olympique 2020 en entamant une autre phase de la « nouvelle norme » afin de permettre aux comités d’organisation des Jeux Olympiques de réaliser encore plus d’économies. Ces nouvelles mesures devraient permettre de limiter encore davantage l’empreinte écologique de toutes les parties prenantes aux Jeux Olympiques.

Le CIO étudiera également si et de quelle manière il pourra accélérer sa réponse au changement climatique. Le CIO, en tant qu’organisation, est déjà neutre en carbone, tout comme devraient l’être les Jeux de Tokyo 2020. Notre nouvel objectif pourrait être de les rendre tous deux positifs sur le plan climatique avant même l’année 2030, soit l’année ciblée par la communauté internationale pour atteindre ses objectifs climatiques.

Pour le Mouvement olympique dans son ensemble, nous devrons peut-être aussi examiner de plus près la multiplication des événements sportifs, comme nous l’avons déjà fait lors des précédents Sommets olympiques. La pression financière exercée sur toutes les parties prenantes, notamment les CNO, les FI et les comités d’organisation, pourrait exiger une plus grande cohésion à cet égard.

IMPACT SUR LE PLAN POLITIQUE

Dans certaines parties du monde, nous pourrions voir plus de nationalisme, plus de protectionnisme et, par conséquent, plus de confrontations politiques. Il convient ici de mettre en avant nos valeurs olympiques de solidarité, de paix, de respect mutuel et de respect des règles mondiales du sport.

En vivant en harmonie et en renforçant la solidarité, nous pouvons montrer qu’une coopération internationale respectueuse produit des résultats meilleurs et plus équitables que l’isolationnisme. Nous devons tous faire de notre mieux pour que les Jeux Olympiques soient soutenus par l’ensemble de la communauté internationale en tant que démonstration de « l’unité de l’humanité dans toute sa diversité », pour que les Jeux Olympiques construisent des ponts pour tout le monde sans aucune forme de discrimination, et partant, pour que les Jeux Olympiques, en tant qu’événement sportif, culturel et social unique, dépassent toute considération politique ou autre facteur de division.

LA VOIE À SUIVRE

J’espère qu’avec ces idées, je pourrai contribuer à une discussion approfondie. Je propose donc une large consultation entre nous tous sous la direction de la commission exécutive et de la Session du CIO, comme nous l’avons fait pour l’Agenda olympique 2020. Les Grecs de l’Antiquité, à qui nous devons les Jeux Olympiques, savaient déjà que chaque crise s’accompagne d’une opportunité. Saisissons cette opportunité, dans un esprit d’unité et de créativité, pour sortir de cette crise encore plus forts qu’auparavant. Le monde de l’après-coronavirus aura besoin du sport et nous sommes prêts à contribuer à le façonner avec nos valeurs olympiques. »

Lausanne, le 29 avril 2020
Thomas Bach