— Publié le 1 juillet 2020

Le dopage dans l’athlétisme russe, une vérité à deux visages

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Les Russes ne paieront pas. Ils s’exposent au pire, mais ils ne paieront pas. Sanctionnée par une amende de 10 millions de dollars par World Athletics, la Fédération russe d’athlétisme (RusAF) devait s’acquitter de la moitié de la somme au plus tard ce mercredi 1er juillet 2020. Elle ne le fera pas.

Selon le site sports.ru, le présidium de la RusAF a pris la décision de ne pas payer son amende lors d’une réunion organisée mardi 30 juin. Elle était dirigée par Yevgeny Yurchenko, le nouveau président de la fédération.

A défaut d’un virement de 5 millions de dollars vers le compte bancaire monégasque de World Athletics, la RusAF se contentera de faire appel de sa sanction devant le Conseil de l’instance internationale. Elle demandera notamment un délai supplémentaire pour s’acquitter de son amende.

Pour les athlètes russes, le coup est rude. World Athletics n’en a jamais fait mystère : le non-paiement dans le délai imparti de la première moitié de l’amende bloquera le processus d’éligibilité au statut d’athlète neutre. Les Russes ne pourront donc pas se présenter dans les meetings internationaux cette saison. A plus long terme, ils pourraient être privés des Jeux de Tokyo en 2021.

Un site spécialisé basé aux Etats-Unis et au Danemark, RunRepeat.com, s’est intéressé sur un plan statistique à la réalité du dopage dans l’athlétisme russe. Le résultat de ses recherches est contenu dans une étude inédite, conduite par Jovana Subic. Son titre : « Le dopage russe est-il ce qu’il semble être ? »

Dimitrije Curcic, le responsable des contenus sportifs chez RunRepeat, en a expliqué à FrancsJeux la méthode et les découvertes.

FrancsJeux : Quelles données avez-vous analysées dans le cadre de votre étude du dopage dans l’athlétisme russe ?

Dimitrije Curcic : Nos recherches ont porté sur 29.190 résultats obtenus par 354 athlètes olympiques russes au cours de la période 1993-2019. Nous nous sommes concentrés uniquement sur les disciplines de l’athlétisme. L’objectif était de comparer les résultats obtenus par des athlètes propres, c’est à dire jamais sanctionnés de la moindre infraction aux règles antidopage, avec ceux obtenus par des compétiteurs ayant été suspendus pour dopage.

Quels sont les éléments les plus révélateurs de l’étude ?

La découverte la plus surprenante a certainement été le fait que, dans certaines disciplines, des athlètes russes propres ont obtenu de meilleurs résultats que leurs compatriotes suspendus. Dans six des disciplines du programme olympique, les résultats des athlètes jamais suspendus sont supérieurs à ceux des athlètes dopés : 400 m et 800 m femmes, 1.500 m hommes, lancer du marteau hommes, lancer du javelot femmes et saut à la perche hommes. Sur 40 m féminin, par exemple, les athlètes propres affichent des chronos plus rapides en moyenne de 1,29 seconde sur l’ensemble de la période étudiée. Au lancer du marteau masculin, la différence est de 2,47 m à l’avantage des Russes jamais sanctionnés pour dopage. Nous avons aussi découvert que certains athlètes suspendus se sont montrés plus performants en dehors de la période pour laquelle ils ont été disqualifiés pour dopage. Dans cinq disciplines, les résultats réguliers de ces athlètes ont été meilleurs : 20 km marche hommes et femmes, lancer du poids hommes et femmes, triple saut femmes.

Comment peut-on l’expliquer ?

Les raisons peuvent être multiples. Il est bien sûr possible de penser que ces athlètes présumés propres ne sont pas aussi propres après tout. Cela pourrait également signifier que les athlètes interdits ne sont pas dopés. Mais cela peut aussi être une coïncidence. Les pourcentages peuvent sembler faibles, mais en athlétisme un écart infime peut faire la différence.

Vous avez titré votre étude : « Le dopage russe est-il ce qu’il semble être ? » Quelle est aujourd’hui votre réponse à cette question ?

La tempête médiatique autour du dopage en Russie a été tellement forte, depuis plusieurs années, qu’il nous a semblé intéressant d’approfondir avec une analyse basée sur des faits. Nos recherches le démontrent : il faut creuser davantage. Dans le même temps, il serait pertinent de mener la même étude sur d’autres grandes nations sportives, en comparant les résultats des athlètes propres et dopés.

Sans dopage, l’athlétisme russe peut-il encore être une force sur la scène mondiale ?

Je pense que la question ne concerne pas seulement la Russie. Aujourd’hui, on peut se demander si un seul pays pourrait demeurer une force dans l’athlétisme mondial sans l’aide du dopage.