Michael Paye, ancien directeur marketing du CIO (1988-2004), sort un livre sur les coulisses du développement commercial du sport, intitulé Fast Tracks & Dark Deals : How Sport Became Business and Business became Sport (Chiselbury Publishing). Préfacé par l’ancien président du CIO, Thomas Bach, et par le fondateur du groupe Formula One, Bernie Ecclestone, il sortira le 17 novembre. En attendant, son auteur nous parle de cet ouvrage, fruit de vingt mois de réflexion sur l’ensemble de sa carrière.
Une partie de votre livre s’intitule « La disparition imminente d’un dinosaure ». Les Jeux ont vraiment été menacés de disparaître dans les années 1970 ?
Aujourd’hui, avec les milliards de dollars en jeu, il y a de la compétition. Quand j’ai rejoint le CIO, il n’y avait pas d’argent et la liste des villes qui voulaient accueillir les Jeux n’était pas très longue. Pour 1984, il y avait deux candidats au départ : Téhéran et Los Angeles. Téhéran s’est retirée avec l’évolution politique du pays, et Los Angeles avait en tête que les Jeux avaient plombé les finances de Montréal. Il n’y avait pas de perspectives, la plupart des commentateurs de l’époque écrivaient la nécrologie des Jeux olympiques. « C’est devenu trop grand, trop politique, ça ne continuera pas… »
Même Samaranch, une fois à Lausanne, a voulu laisser le poste de président quand il a vu les comptes du CIO ! Il n’avait pas réalisé à quel point ils étaient mauvais. Les gens oublient que les Jeux sont passés aussi près de s’arrêter. C’est important de le rappeler parfois : il ne faut rien prendre pour acquis. À l’époque, le sport commençait à se développer à la télévision, et c’était clairement un tremplin pour que le CIO s’éloigne de la faillite. J’ai été embauché pour créer le tout premier programme de sponsoring. Peu de gens y croyaient mais ce fut probablement un tournant d’un point de vue commercial.
Et aujourd’hui, vous écrivez que « sous la direction de Bach, les performances commerciales du Mouvement olympique ont augmenté de manière exponentielle », et qu’un « tel niveau de réussite n’est pas facile à maintenir ».
Absolument. Les Jeux de Paris, sans doute les plus grands JO de tous les temps, ont phénoménaux. Mais en même temps, il y a deux nuages noirs à l’horizon : l’un est politique, nous voyons l’utilisation croissante du sport comme arme politique, les politiciens qui utilisent le sport pour faire passer un message politique. Et puis, du côté commercial : le marché subit des changements fondamentaux. Le marché de la diffusion, la manière dont les gens consomment le sport, le marché du sponsoring, tout ça évolue à une vitesse vertigineuse. Si le CIO ne change pas très rapidement, il y aura un gros problème à l’horizon.
Ce changement n’est-il pas en train de se produire ? Nous verrons pour la première fois en 2028 le naming officiel de sites de compétition.
Je pense qu’on en fait quelque chose de beaucoup plus gros que ce dont il s’agit réellement. En 2002, à Salt Lake, le patinage artistique a eu lieu au Delta Center. La moitié des gens l’appelaient comme ça (alors que l’enceinte était officiellement renommée Salt Lake Ice Center pour les Jeux, ndlr). Beaucoup de sites ont un nom sponsorisé aujourd’hui. Il y a le nom sur l’enceinte, sur le ticket, sur la carte, mais il n’y a aucune exposition au sein de l’enceinte, sur le terrain. S’il n’y a rien à l’intérieur de l’enceinte, la publicité et la visibilité sont en réalité assez limitées. Ce n’est pas une affaire aussi importante qu’on veut bien le faire croire.
C’est donc plus un effet de communication que véritablement une nouvelle approche selon vous ?
Le programme TOP existe depuis presque 50 ans. Clairement, il doit évoluer. Avoir de la publicité tout autour de la piste et à travers les athlètes donnerait l’image que les Jeux olympiques sont comme n’importe quel événement sportif. Et l’une des choses les plus précieuses qu’ont les Jeux, c’est qu’ils sont différents. Introduire la publicité autour de la piste compromettrait complètement ce que les diffuseurs paient. NBC paie cher pour pouvoir vendre des pages de pub pendant les Jeux. Pourquoi ne pas fournir aux 10.000 athlètes un clip d’une minute de leurs performances, 24 heures après ? On garde une part d’exclusivité pour le diffuseur, puis on le diffuse via les réseaux sociaux, où chaque athlète a une communauté qui s’engage et qui interagit. Le futur, c’est ça. Ce n’est pas d’avoir un nom inscrit sur le bord d’une piste.
Que pensez-vous des débats sur l’implication de sociétés comme Total ou Aramco dans le sponsoring des compétitions, alors que le sport parle de plus en plus de durabilité environnementale ?
Soyons honnêtes : le sport doit adopter les meilleures pratiques dans la société actuelle, en matière de gouvernance, de normes environnementales, etc. Mais le sport ne va pas non plus résoudre tous les problèmes du monde. Il y a des limites à ce que l’on peut attendre de manière réaliste. Si les gouvernements veulent interdire certaines catégories de partenaires, bien, mais est-ce qu’ils vont payer pour combler ce manque ? En France, Anne Hidalgo a bloqué le sponsoring de Total. Cela lui a probablement donné du crédit sur les questions environnementales, mais ça a laissé un trou dans le budget du comité d’organisation. Il pourrait aussi y avoir un débat sur la présence de Coca-Cola ou McDonald’s dans le sport. Est-ce sain ? Dans le cas de Coca-Cola, les Jeux ont été un catalyseur pour introduire un éventail de boissons plus large, dont des boissons saines. Je me souviens qu’à Sydney, sous la pression de Greenpeace, Coca-Cola a aussi fait évoluer ses standards pour évoluer vers des systèmes de réfrigération sans hydrofluorocarbures.

Bernie Ecclestone, Thomas Bach et Michael Payne, réunis en 2020.
Quel regard portez-vous sur l’avenir des Jeux d’hiver, avec l’intégration potentielle de sports comme le cyclo-cross, le cross-country, voire des sports actuellement au programme des Jeux d’été, comme le judo ? Sebastian Coe a mis cette idée en avant.
Avec tout mon respect pour Lord Coe, je ne suis pas d’accord. La marque des Jeux d’hiver, fondamentalement, c’est la neige et la glace. Si vous commencez à ajouter des sites pour des épreuves indoor, vous restreignez le cercle des candidats à l’organisation des Jeux. Je pense qu’il y aura un débat après Milan-Cortina. Ce sera impossible pour un spectateur de voir le patinage et du ski le même jour, il faudra choisir. Est-ce une bonne idée ? Est-ce que nous perdons quelque chose avec des Jeux aussi diffus ? Il y a suffisamment d’endroits qui offrent une solution plus intime. Salt Lake City, ce sera compact. Vous allez en Asie, au Japon, en Chine, en Corée, et en Europe, on peut aussi avoir des Jeux plus compacts : dans les Alpes avec Annecy et Genève, en Autriche, dans les pays nordiques, etc. Pour organiser les Jeux Olympiques, vous disposez encore d’un bon choix de destinations majeures. En revanche, ajouter davantage d’épreuves indoor limiterait les options.
Les FI ont manifesté certaines craintes dernièrement face à la concurrence des ligues privées. Justement, vous prédisez que « dans les vingt prochaines années, la NFL tentera d’acheter World Rugby » car en réunissant le football américain, qui a « l’argent, l’ambition », et le rugby, qui a « la culture, les contacts et la plateforme », la NFL « pourrait enfin obtenir ce qu’elle a toujours voulu, une présence internationale et un formidable vivier de talents ».
J’ai voulu illustrer le rythme auquel les choses changent en me projetant dans les années à venir. En matière de gouvernance, aucune FI ne devrait considérer comme acquis qu’elles ont un droit divin de gouverner. Regardez ce qui s’est passé en golf avec LIV. Si la NFL et World Rugby étaient deux entreprises, en considérant l’ambition mondiale de la NFL et son budget illimité, d’un point de vue purement business, une OPA hostile serait une évidence. En tennis, il y a des années, on a vu les joueurs se rebeller contre l’establishment et former l’ATP. Le message, c’est que si vous êtes une FI et que l’on considère que vous ne gérez pas correctement votre sport, si vous ne le développez pas, si vous ne servez pas votre communauté, quelqu’un d’autre pourrait venir le faire à votre place.
Dans cette perspective, vous citez l’exemple du pentathlon moderne dans votre livre. L’UIPM est un exemple en matière d’audace et de renouvellement ?
En substance, le CIO a dit que c’était game over. L’UIPM n’avait pas d’issue. Le Prince Albert, le président d’honneur de la fédération, m’a convié au Palais pour me demander de l’aide. Je lui ai dit : « Désolé, mais je ne crois pas que l’on puisse faire quoi que ce soit, c’est fini. » Il a insisté. J’ai réuni un groupe d’experts qui ne connaissaient rien au pentathlon moderne, mais qui maîtrisaient la télévision, le marketing, le branding. Nous avons passé une journée avec le board et la commission des athlètes. Nous leur avons dit : « Vous avez deux options : soit vous ignorez ce que l’on va vous dire, et c’est fini, soit vous écoutez attentivement, vous faîtes preuve de courage et nous allons remplacer l’équitation par une épreuve Ninja Warrior. » Certains nous ont regardé comme si nous étions fous. Mais à la fin, nous avions une feuille de route pour réinventer le sport. Que font les enfants dans le jardin ? Ils tapent dans un ballon, ils se tirent dessus ou ils jouent avec des obstacles. Ça colle parfaitement.
Le monde du sport doit être attentif à ne pas s’enfermer dans une tour d’ivoire. Il faut comprendre que si les gens ne s’engagent pas, s’ils ne participent pas, s’ils ne regardent pas, tu t’affaiblis. Il faut continuer d’évoluer, de progresser. La lutte a connu un parcours similaire il y a une dizaine d’années : le leadership a changé, un président visionnaire et agressif, Nenad Lalovic, a transformé le sport, changé les règles, et c’est un autre sport qui a dit au revoir au programme olympique. Personne n’est à l’abri. L’athlétisme continue de jouir d’un statut privilégié mais en dehors des Jeux, il y a des difficultés. Lors des Championnats du monde dans l’Oregon, le fief de Nike (à Eugene, en 2022, ndlr), ils n’ont pas rempli le stade.

