— Publié le 10 novembre 2015

La Russie peut-elle être rayée de la carte?

Institutions Focus

Ambiance sévère et visages graves, lundi 9 novembre, à l’hôtel Mandarin de Genève, où l’AMA avait convoqué la presse pour une explication de texte du rapport sur le dopage dans l’athlétisme. Au micro, le Canadien Dick Pound, président de la commission d’éthique de l’Agence mondiale antidopage. Dans sa mallette, un document explosif sur le dopage en Russie, sur la tricherie dans l’athlétisme et sur la corruption à l’IAAF. Une véritable bombe à retardement à la désagréable odeur de soufre.

Les faits d’abords. Ils se passeraient presque de commentaires. Selon l’AMA, l’athlétisme russe était miné par le dopage, depuis longtemps, à tous les niveaux de la pyramide et avec l’aval des autorités sportives. « Des déclarations de témoins et d’autres preuves ont semble-t-il mis en lumière un haut niveau de collusion parmi les athlètes, les entraîneurs, les médecins, les officiels et les agences sportives pour fournir de façon systématique aux athlètes russes des produits dopants afin d’atteindre le principal objectif de l’Etat : produire des vainqueurs, avance le rapport. L’enquête montre que l’acceptation de la triche à tous les niveaux était étendue et de longue date ». L’AMA n’épargne personne, accusant les entraîneurs, qui « eux-mêmes étaient auparavant des athlètes et qui travaillent en relation avec le personnel médical. Cette mentalité de « victoire à tout prix » a ensuite été transmise aux athlètes actuel. »

Bonne surprise, le rapport de l’AMA ne se contente pas d’épingler l’athlétisme russe, une proie devenue facile et évidente depuis les révélations en juillet dernier de la télévision allemande ARD. Il précise que des responsables de l’IAAF, en particulier son ancien président Lamine Diack, sont soupçonnés d’avoir reçu des sommes d’argent en contrepartie de la couverture de ces pratiques dopantes. Le Sénégalais aurait empoché un million de dollars.

Sans donner plus de détails, l’AMA avance aussi que le dopage systématisé ne serait pas une invention russe. On s’en doutait. Evoquant la « partie visible de l’iceberg » en référence à ses premières découvertes, il suggère que ces pratiques pourraient toucher l’ensemble du sport russe (biathlon, ski de fond, lutte…) et plusieurs autres pays (Kenya, Turquie…). Le rapport révèle que le patron du laboratoire antidopage de Moscou, Gregory Rodchenko, a fait détruire 1417 éprouvettes avec l’espoir de protéger certains des tricheurs.

 

L’affaire devenant mondiale, et extrêmement médiatique, l’AMA a demandé la collaboration d’Interpol. L’opération a été baptisée Augeas, elle associe dans ses travaux plusieurs pays susceptibles d’être concernés par l’enquête, notamment Singapour.

Autre info tombée en ce sombre lundi 9 novembre: la commission d’éthique du CIO a demandé la suspension provisoire de Lamine Diack, ancien membre actif de l’organisation olympique, devenu membre honoraire. On imagine mal comment elle pourrait ne pas transformer cette suspension dite provisoire en exclusion définitive. Le Sénégalais, présenté en son temps comme un leader et un modèle pour le sport africain, est en train de tomber avec fracas de son piédestal. Mais sa chute ne profite à personne.

Les conséquences, maintenant. Elles pourraient être colossales et provoquer un séisme dans l’athlétisme mondial, voire dans le mouvement olympique tout entier. Par la voix de Dick Pound, l’AMA suggère la suspension à vie de cinq entraîneurs russes et de cinq athlètes, tous médaillés aux Jeux de Londres: la championne olympique du 800 m Maria Savinova, la médaillée de bronze sur la même distance Yekaterina Poistogova, la marcheuse Olga Kaniskina (2ème au 20 km), le champion olympique du 50 km marche Sergey Kirdyapkin, la Turque Asli Cakir Alptekin, victorieuse à Londres sur 1500 m. Elle demande également le retrait de l’accréditation du laboratoire antidopage de Moscou.

Surtout, l’AMA surprend son monde en demandant à l’IAAF de suspendre la Russie de toutes compétitions internationales, à commencer par les Jeux de Rio en 2016. Possible? Réaliste? L’IAAF a annoncé dès lundi, par la voix de Sebastian Coe, attendre des explications de la Fédération russe d’athlétisme « avant la fin de la semaine ». La Fédération internationale a également fait savoir qu’elle prenait très au sérieux « ces révélations alarmantes », que son Conseil en débattrait très rapidement et qu’il prendrait toutes les mesures qui s’imposeront, à commencer par une possible suspension, partielle ou totale, de la Russie. Le Conseil de l’IAAF doit se réunir les 26 et 27 novembre à Monaco. Le sort de la Russie devrait être scellé avant la fin de ces deux journées.

Sportivement parlant, l’absence des athlètes russes aux Jeux de Rio en 2016 bouleverserait peu la donne. A Londres, en 2012, la délégation russe avait raflé 17 médailles, dont 15 dans les épreuves féminines. Mais depuis les révélations de la chaîne allemande ARD, son taux de performance a fondu comme neige au soleil: seulement 4 médailles aux Mondiaux de Pékin en 2015, dont 2 en or. Normal.

En revanche, l’impact politique serait dévastateur. La suspension de l’athlétisme russe n’épargnerait pas son comité national olympique, considéré comme l’un des plus riches et puissants au monde. Il a reçu le mois dernier, en grandes pompes, le 1er Forum mondial des olympiens, au Ritz-Carlton de Moscou. Les villes russe de Kazan et Sotchi sont en concurrence pour organiser la deuxième édition des Jeux Européens en 2019. La Russie accueillera cette année-là les Universiades d’hiver. Le mouvement sportif international peut-il se passer, même une année ou deux, de la Russie? Pas sûr.