Le monde de l'escrime

Le rêve de la Chine ? 500.000 escrimeurs

— Publié le 29 mars 2024

Les experts le reconnaissent : l’avenir de l’escrime pourrait bien se jouer en Asie. Le continent affiche un potentiel de développement sans doute unique sur la planète. Ses meilleurs athlètes ne cessent de progresser. Les derniers championnats du monde, organisés l’an passé à Milan, en ont apporté une nouvelle preuve, avec un podium 100 % asiatique dans l’épreuve du fleuret masculin par équipes. Une première.
 
Pour en parler, FrancsJeux a interrogé le Chinois Haibin Wang. Président de la Fédération chinoise d’escrime, cet ancien fleurettiste double médaillé d’argent olympique par équipe (Sydney 2000 et Athènes 20204), siège au comité exécutif de la FIE. Il en est le représentant au Conseil des entraîneurs.
 
FrancsJeux : Quand et comment avez-vous commencé l’escrime ?
 
Haibin Wang : J’ai débuté l’escrime à l’âge 11 ans. A l’école. J’habitais alors dans la province de Jiangsu, dont Nankin est la capitale. Nous étions en 1984, l’année des Jeux olympiques de Los Angeles. Une édition des Jeux marquée par la victoire de ma compatriote Luan Jujie au fleuret individuel. La première médaille d’or olympique de l’Asie en escrime. Luan Jujie était maître d’armes dans le club de ma ville. Dans mon école, beaucoup d’élèves voulaient se mettre à l’escrime pour suivre ses traces. J’ai été repéré dans mon école par les maîtres d’armes.
 
Quelle était la situation de l’escrime en Chine à l’époque de vos débuts ?
 
L’escrime était alors un tout petit sport, peu connu, pas vraiment populaire, rien de comparable avec le tennis de table, le badminton ou le football. Beaucoup de Chinois en ignoraient même l’existence. Comme la prononciation du mot escrime est la même, en chinois, que le mot construction, les gens à qui je racontais que j’étais escrimeur pensaient que je travaillais dans la construction. Aujourd’hui, tout le monde sait ce qu’est l’escrime.
 
Les Jeux olympiques de Pékin 2008 ont-ils eu un impact sur la pratique de l’escrime en Chine ?
 
Ils ont eu un impact sur tous les sports olympiques. Le gouvernement avait attribué des moyens importants pour préparer les Jeux et les réussir. Tous les sports en ont profité. En escrime, le Français Christian Bauer avait été recruté pour s’occuper de l’équipe nationale de sabre. Nous avons obtenu la médaille d’or au sabre individuel. La popularité de Christian Bauer en a été décuplée. Beaucoup d’enfants ont eu envie de se mettre à l’escrime. Avant les Jeux de Pékin 2008, le sport était avant tout l’affaire du gouvernement, avec des déclinaisons dans les provinces et les villes. Les athlètes étaient des fonctionnaires. Après les Jeux, les clubs privés se sont développés. Le sport est devenu l’affaire de tous.
 
La Chine organise beaucoup d’événements multisports, Jeux asiatiques, Jeux mondiaux universitaires, Jeux mondiaux… Permettent-ils de mieux faire connaître l’escrime au public chinois ?
 
L’organisation de grands événements multisports, associée au développement économique, a changé l’image du sport et sa pratique. Il n’est plus seulement réservé à une élite d’athlètes de haut niveau. Les Chinois se sont mis à appréhender l’activité sportive comme un facteur de santé et de bien-être. La classe moyenne et les jeunes, notamment, veulent s’essayer à différentes activités sportives, pour le plaisir, en loisir, sans objectif de performances. Aujourd’hui, on voit des jeunes de 8 à 20 ans pratiquer l’escrime dans des clubs privés, en amateurs.
 
Quelle est aujourd’hui la place de l’escrime en Chine ?
 
Comme pour tout le reste, la crise du COVID a été un frein à la pratique et au développement. Mais pour l’année 2023, la première de l’après-COVID, nous avons organisé 81 tournois d’escrime, toutes catégories d’âge confondues, dans l’ensemble du pays, auxquels ont participé un total de 29.238 compétiteurs. La Chine recensait l’an passé 1290 clubs.
 
Que manque-t-il encore à l’escrime pour accélérer son développement en Chine ?
 
Nous manquons de maîtres d’armes chinois. La Chine a recruté beaucoup d’entraîneurs étrangers, au cours des dernières années. Ils sont très bons et nous apportent beaucoup. Le Français Daniel Levavasseur, par exemple, a dirigé l’équipe nationale. Aujourd’hui, il est installé à Shanghai où il a ouvert une académie d’escrime, Epée Levavasseur. Tous les entraîneurs y sont français ! Mais nous devons développer des programmes de coaching pour les entraîneurs chinois. Nous voulons aussi renforcer la présence de l’escrime à l’université, en nous inspirant du modèle américain de la NCAA. Notre sport est très associé à l’éducation. L’université représente certainement l’avenir de l’escrime chinoise.
 
Comment imaginez-vous l’escrime dans votre pays dans 10 ou 20 ans ?
 
Je l’imagine comme un sport haut de gamme, élégant, plutôt pratiqué par des gens éduqués. Mais, s’il faut évoquer des chiffres, le rêve serait d’arriver à 500.000 pratiquants dans l’ensemble du pays. Cela peut sembler énorme, et nous en sommes encore loin, mais avec la taille de notre population l’objectif est réalisable.