— Publié le 19 avril 2021

Avec la Super Ligue, le foot européen se coupe en deux

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Une révolution, rien de moins. Un séisme. Une onde de choc. Un quart de siècle après l’arrêt Bosman, l’Europe de football se prépare à basculer dans une autre époque. Dimanche 18 avril, douze des plus grands clubs du continent ont annoncé la création prochaine d’une nouvelle compétition, la Super Ligue européenne. Elle pourrait, en cas de concrétisation du projet, affaiblir l’actuelle Ligue des Champions, voire conduire à sa disparition.

Le projet

La Super Ligue européenne se présente comme une alternative à une Ligue des Champions présentée par ses dissidents comme à bout de souffle et en fin de parcours. La nouvelle compétition se fixe l’objectif de réunir 20 équipes. Quinze d’entre elles, les membres fondateurs – les douze clubs à l’origine du projet, plus trois autres à trouver (le Bayern Munich et le Borussia Dortmund en Allemagne, Paris Saint-Germain en France, sont clairement visés) – seraient accompagnées par cinq autres équipes, qualifiées au début de chaque saison selon des modalités encore à définir. Une ligue partiellement fermée, donc, mais pas complètement.

Les vingt clubs seraient répartis en deux poules de dix, avec des matches aller et retour, soit la garantie pour chaque équipe de disputer dix-huit rencontres au cours de la première phase (contre six dans la phase de groupe actuelle de la Ligue des Champions). Les trois premiers de chaque groupe seraient qualifiés pour les quarts de finale. Les quatrièmes et cinquièmes s’affronteraient en barrage pour les deux derniers billets. La suite serait plus conventionnelle, avec deux demi-finales en aller-retour, puis une finale sur un match unique.

Les rencontres seraient disputées en milieu de semaine, afin de ne pas concurrencer les championnats nationaux. Mais elles entreraient en concurrence directe avec la Ligue des Champions.

Les acteurs

Ils sont issus de seulement trois ligues nationales – Espagne, Italie et Angleterre – mais pèsent assez lourd pour mettre en danger l’équilibre actuel du football européen. Le groupe initial de la Super Ligue rassemble le Real Madrid, le FC Barcelone et l’Atlético de Madrid côté espagnol, la Juventus de Turin, l’AC Milan et l’Inter Milan pour la partie italienne, Liverpool, Manchester United, Manchester City, Chelsea, Tottenham et Arsenal pour la Premier League anglaise. A eux tous, ils totalisent quarante Ligue des Champions.

Une société a déjà été créée, The European Super League. Elle est présidée par Florentino Pérez (Real Madrid), assisté de deux vice-présidents, Andrea Agnelli (Juventus) et Malcolm Glazer (Manchester United). Elle aurait notamment la responsabilité de la gestion des droits audiovisuels et marketing, mais aussi l’organisation de la compétition.

Le timing

La Super Ligue a été dévoilée à la veille d’un comité exécutif de l’UEFA, prévu ce lundi 19 avril à 9 heures dans la ville suisse de Montreux. Tout sauf un hasard. A son ordre du jour figure en effet une discussion sur le nouveau format élargi de la Ligue des Champions, censé entrer en vigueur en 2024. En attente de validation, le plan de l’UEFA pour muscler sa compétition phares semble donc désormais très menacé.

Le calendrier

Les 12 clubs à l’origine du projet de Super Ligue n’ont pas annoncé de date de lancement. Mais ils ne font pas mystère de leur volonté de lancer la mécanique pour la saison 2022-23. Selon un communiqué de la Super Ligue, une version féminine serait également lancée, « dès que possible après le début de la compétition masculine, afin d’aider au développement du football féminin et le faire avancer comme jamais auparavant. »

L’argent

Les chiffres sont déjà posés sur la table. Ils pèsent lourd. Les 15 membres fondateurs se partageraient au moins 3,5 milliards d’euros par an, un pactole qui pourrait grimper jusqu’à 6 milliards d’euros. Les six premiers clubs pourraient recevoir jusqu’à 350 millions d’euros chacun. Les porteurs du projet ont passé un accord avec la banque d’affaires JP Morgan. La nouvelle compétition veut se doter de règles de bonne conduite financière, en instaurant notamment un plafond de masse salariale ne dépassant pas un certain un pourcentage du chiffre d’affaires des clubs. Par ailleurs, une partie des revenus serait affectée à un fonds de solidarité destiné aux autres clubs et au football amateur.

L’opposition

Elle s’organise. L’UEFA a déjà fait savoir que les clubs qui rejoindront la Super Ligue seront exclus de la Ligue des Champions avant même le lancement de la nouvelle compétition. Les fédérations nationales ont exprimé leur défiance au projet, s’engageant à « rester unies dans leurs efforts pour arrêter » une machine jugée « cynique ». La Super Ligue a déjà précisé qu’elle ne mettrait pas en péril les championnats nationaux, n’ayant aucune intention de s’incruster dans la fenêtre du weekend.

La FIFA, de son côté, a prévenu que les joueurs des clubs de Super Ligue seraient interdits de représenter leurs équipes nationales dans ses compétitions, dont le Mondial 2022 au Qatar. La menace est lourde. L’instance présidée par Gianni Infantino a certes exprimé sa « désapprobation », dimanche 18 avril, dans un communiqué publié en fin de journée. Mais, prudente, elle ne ferme pas entièrement la porte au projet. Dans un document de travail préalable, les initiateurs de la Super Ligue expliquaient comment 12 de leurs équipes pourraient se qualifier pour la Coupe du Monde des clubs élargie à 24 équipes, le nouveau mastodonte préparé par la FIFA à échéance 2023.

Quant aux sponsors de l’actuelle Ligue des Champions, ils ont appelé à la tenue d’une réunion d’urgence avec l’UEFA. Avec l’intention légitime de revoir leur engagement aux côtés d’une compétition menacée de prendre l’eau.