— Publié le 11 août 2020

« Nous sommes traités comme des morceaux de viande »

Institutions Focus

Après les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ? Le monde de la gymnastique est éclaboussé par une nouvelle affaire de maltraitance. Elle n’atteint pas les proportions du scandale Larry Nassar, mais elle en dit long sur les pratiques d’un sport où les témoignages de victimes se succèdent sans marquer de pause.

Le dernier en date jette un lourd pavé dans la mare de la gymnastique britannique. A en croire Nile Wilson (photo ci-dessus), le médaillé de bronze à la barre fixe aux Jeux de Rio en 2016, les gymnastes seraient traités « comme des morceaux de viande ». L’image est sans nuance. L’athlète anglais l’a évoquée lundi 10 août à l’occasion d’une interview à la BBC.

« Je décrirais absolument cela comme une culture de la maltraitance, et je l’ai vécue et respirée pendant 20 ans, insiste Nile Wilson, aujourd’hui âgé de 24 ans. C’est de la manipulation émotionnelle. Etre poussé par la douleur physique est certainement quelque chose que j’ai vécu. Je dirais que j’ai été maltraité. Mais nous voulions gagner des médailles olympiques, les dirigeants voulaient gagner des médailles olympiques, les entraîneurs voulaient gagner des médailles olympiques. »

Le gymnaste britannique n’en est pas à ses premières déclarations sur la culture de la maltraitance et du harcèlement dans sa discipline. En début d’année, il a porté plainte après une altercation avec un cadre technique lors d’une soirée dans son club de gymnastique de Leeds. Après une enquête interne du club, sa plainte a été rejetée.

« On m’a dit et j’ai senti que c’était moi le problème, suggère-t-il. J’avais l’impression de ne pas être entendu et que j’avais tort ». Selon la BBC, le club de gymnastique de Leeds aurait conduit une enquête « professionnelle, solide », et indépendante après les accusations de l’athlète, pour finalement donner tort au plaignant.

Depuis, Nile Wilson a quitté le club. Il l’a expliqué à la BBC : « En exprimant ainsi mon inquiétude, je risque de compromettre mes chances d’aller aux Jeux olympiques de Tokyo. J’ai peur de parler avec vous. La raison pour laquelle je parle est que mon incident de cette année souligne qu’il y a encore beaucoup de choses à changer dans la gymnastique et que cela commence au sommet. »

La sortie médiatique de Nile Wilson intervient à un moment très délicat pour la Fédération britannique de gymnastique, attaquée sur tous les fronts par certains de ses meilleurs athlètes.

Amy Tinkler, la médaillée de bronze au sol aux Jeux de Rio 2016, l’a vivement critiquée le mois dernier pour sa lenteur à conduire une enquête digne de ce nom après une plainte pour harcèlement déposée par la gymnaste en décembre 2019.

La semaine passée, les deux sœurs Rebecca et Elissa Downie, médaillées aux Mondiaux 2019 (argent aux barres asymétriques pour la première, bronze au saut pour la seconde), ont ajouté leurs voix aux critiques. Elles ont dénoncé sur les réseaux sociaux le « climat de peur et d’abus mental » dans leur discipline.

Rebecca et Elissa Downie assurent avoir été victimes d’une litanie d’intimidations et d’abus, notamment concernant leur poids. « Nous n’avons certainement pas réalisé à quel point c’était mal à l’époque, ont-elles expliqué. Il a fallu des années et des années pour le comprendre et l’accepter. Pendant trop longtemps, la santé et le bien-être des jeunes filles ont été d’une importance secondaire par rapport à une culture dépassée, cruelle et que nous qualifions de souvent inefficace au sein de l’entraînement de gymnastique féminine. »

A l’image de Nile Wilson, les deux sœurs britanniques ont choisi de briser la loi du silence à une année des Jeux de Tokyo, au risque de compromettre leurs chances de vivre l’événement de l’intérieur. « Nous nous exprimons maintenant, parce que nous avons le devoir de veiller au bien-être des jeunes filles qui commencent la gymnastique, et leur sécurité est plus importante que n’importe quelle médaille olympique », ont-elles écrit sur les réseaux sociaux.

La Fédération britannique a choisi d’opter pour la réserve. Elle a expliqué ne pas vouloir commenter les propos des deux jeunes femmes. Mais elle a annoncé en début de semaine passée avoir lancé une enquête indépendante pour faire la lumière sur ces témoignages « choquants et bouleversants » de gymnastes britanniques.

Depuis, Nile Wilson a rajouté son expérience et ses traumatismes à une liste déjà très longue. Les langues se délient. La gymnastique peut trembler sur ses bases.