Candidatures

« Chine et Kazakhstan ne respectent pas la Charte »

— Publié le 10 mars 2015

Le CIO l’a rappelé de façon très formelle en septembre dernier: le respect des droits de l’homme figure dans la Charte olympique. Plus précisément à l’article 6. Depuis l’automne 2014, les villes candidates à l’obtention des Jeux doivent même s’engager, par écrit, à respecter cet article de la Charte. En clair, à ne pas violer les droits civiques et à ne tolérer aucune discrimination. Réaliste ou illusoire? FrancsJeux a interrogé l’Américaine Minky Worden (notre photo), la directrice des « Global initiatives » au sein de l’organisation internationale Human Rights Watch.

FrancsJeux: Que pensez-vous de l’initiative du CIO d’inclure une clause de respect des droits de l’homme dans le dossier de candidature des villes en course pour l’obtention des Jeux?

Minky Worden: Cette question n’est pas nouvelle. En relisant l’histoire du mouvement olympique, on peut trouver trace de plusieurs exemples où le CIO a fait pression sur les gouvernements dans le sens d’un plus grand respect des droits de l’homme. En Corée du Sud, notamment, avant les Jeux d’été de 1988, en poussant les autorités à organiser des élections. Le CIO possède un vrai pouvoir sur les pays qui veulent les JO. Mais il ne l’a pas toujours exercé. Prenons le cas des Jeux d’hiver de Sochi. Huit mois avant l’événement, la Russie a sorti une loi discriminatoire contre les homosexuels. Le CIO avait l’occasion de réagir de façon ferme. Il ne l’a pas fait.

Aujourd’hui, vous semble-t-il plus déterminé à agir pour faire respecter l’article 6 de la Charte olympique?

Une chose est sûre: il va dans le bon sens en demandant aux villes candidates de faire figurer le respect de la Charte dans leur dossier. Une ville qui obtient l’organisation des Jeux signe un contrat avec le CIO. Par ce contrat, elle s’engage à respecter les droits de l’homme. Le CIO semble déterminé à faire preuve de fermeté face aux pays qui violeraient ces droits. Lorsque l’Arabie Saoudite a expliqué son projet de déposer un jour une candidature commune avec Bahreïn, pour des Jeux où les hommes disputeraient leurs compétitions dans un des deux pays et les femmes dans l’autre, le CIO a immédiatement réagi en expliquant qu’un tel projet était impossible.

Prenons le cas des Jeux d’hiver de 2022. Deux pays restent en course, la Chine et le Kazakhstan. Ces deux pays respectent-ils la Charte olympique?

Non. A Human Rights Watch, nous publions tous les ans un rapport sur les droits de l’homme dans le monde. Un rapport que nous envoyons au CIO. La Chine et le Kazakhstan y sont tous les deux pointés comme des pays où ces droits ne sont pas respectés.

Entre les deux, lequel vous semble le moins pire?

Nous n’établissons pas de comparaison d’un pays à l’autre. En Chine, les droits des travailleurs étrangers ne sont pas respectés. Et nous constatons une censure à l’usage d’Internet. Au Kazakhstan, nous relevons une politique très discriminatoire à l’égard des homosexuels.

Face à une telle situation, où les deux seuls candidats ne respectent pas la Charte olympique, que peut faire le CIO?

Profiter de sa position de force pour faire pression sur ces deux pays. Surveiller le respect des droits de l’homme de façon très précise et attentive, comme il sait le faire pour la construction d’un stade. Aujourd’hui, il est incontestable que la Chine et le Kazakhstan ont plus besoin des Jeux olympiques que le CIO a besoin de ces deux pays. Mais cette question des droits de l’homme ne concerne pas seulement Pékin et Almaty. Nous avons également alerté le CIO sur certaines violations au Brésil, où se dérouleront les Jeux d’été en 2016.

Thomas Bach peut-il, selon vous, faire une vraie différence dans ce débat?

Je pense, oui. Depuis son élection à la tête du CIO, il s’est montré beaucoup plus déterminé et actif sur cette question que ses prédécesseurs. Mais nous attendons la suite des événements avant de juger son action. Avec l’importance prise par les réseaux sociaux, il n’est plus possible aujourd’hui à un pays de violer les droits de l’homme en toute impunité et postuler à l’organisation des grands événements sportifs. Les choses sont en train de changer. A Human Rights Watch, nous allons continuer à surveiller de très près tout cela, comme nous le faisons depuis plus d’une décennie.