— Publié le 18 décembre 2013

La délégation de la Maison Blanche à Sotchi

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Dans une lettre ouverte incisive à l’attention du Président des Etats-Unis Barack Obama, le journaliste américain Alan Abrahamson, spécialiste des questions olympiques, revient sur la composition de la délégation américaine aux Jeux Olympiques de Sotchi 2014. Extraits. (Consultez la version intégrale et originale en anglais de cette lettre ouverte sur 3WireSport.com).

Cher Monsieur le Président,

C’est avec un profond respect pour vous et votre équipe que j’écris cette lettre ouverte.

Je couvre le Mouvement Olympique depuis 15 ans. Les Jeux Olympiques d’Hiver de Sochi 2014 seront mes huitièmes Jeux.

Je vous rappelle qu’en 1980, date des Jeux Olympiques d’été en Union Soviétique, l’équipe des Etats-Unis n’a pas participé suite à une pression intense de la Maison Blanche. Aujourd’hui, Monsieur le Président, la délégation officielle des Etats-Unis que vous avez annoncée pour les Jeux de Sochi ne comprend ni vous-même, ni la Première Dame, ni le Vice-Président, ni aucun membre de votre cabinet. Pour la première fois depuis les Jeux Olympiques de Sydney 2000, la délégation américaine à la cérémonie d’ouverture ne comprendra ni Président, ni Vice-Président ni ancien Président. Dans une déclaration, la Maison Blanche a expliqué que votre agenda ne vous permettait tout simplement pas de vous rendre à Sochi.

Tout au long des années 1990, il était d’usage que les Premières Dames conduisent les délégations américaines.

Avec tout mon respect, Monsieur le Président, ce que vous avez décidé aujourd’hui est irrespectueux envers les Russes et en particulier TRES irrespectueux pour le Président russe Vladimir Poutine.

Monsieur Poutine s’est, depuis de nombreuses années, impliqué personnellement dans le projet de Sochi. Il s’est même rendu à l’assemblée du Comité International Olympique au Guatemala en 2007, lors de laquelle Sochi a remporté l’organisation des Jeux de 2014. Lorsque Monsieur Poutine est devenu Président pour la troisième fois le 7 mai 2012, son premier rendez-vous était avec le Président du CIO Jacques Rogge.

Pour faire clair : Sochi compte énormément pour Monsieur Poutine. Et Monsieur Poutine possède une forte influence sur le mouvement Olympique. Les Russes dépensent au bas mot 51 milliards de dollars pour transformer Sochi, station balnéaire de la Mer noire, en destination de sports d’hiver. C’est près de 10 milliards de plus que ce que les Chinois avaient dépensé pour les Jeux Olympiques d’Eté de Pékin 2008. Avec 51 milliards de dollars, vous suscitez une grande attention.

Monsieur le Président, votre décision peut aussi engendrer des difficultés pour les athlètes américains qui feront le déplacement à Sochi, et pénaliser une potentielle candidature américaine aux Jeux d’Eté de 2024, parce que, en matière de protocole, vous avez clairement exprimé votre dédain pour le Comité International Olympique.

Tout cela, au nom de la politique.

Monsieur le Président, vous êtes un Lauréat du Prix Nobel de la Paix. Vous savez combien les Jeux Olympiques constitue un moment particulier où les nations sont supposées mettre la politique de côté, au moins pour un court instant. Vous savez aussi que le sport a le pouvoir de rapprocher les peuples. Il y a quelques jours, vous vous êtes rendu en Afrique du Sud, pour la cérémonie commémorative en l’honneur de Nelson Mandela, un homme qui comprenait cet idéal, peut-être mieux que quiconque à notre époque.

Votre décision montre également, et c’est particulièrement déplaisant, que vous ne respectez pas les athlètes américains. Le message que vous leur adressez, fort et clair, est qu’ils ne ont pas assez importants pour que vous passiez outre les enjeux politiques.

Vos contraintes d’agenda – ou bien plutôt celui de la Première Dame – est-il une revanche contre la défaite de Chicago au premier tour en 2009? Si le fait que le Comité Olympique des Etats-Unis étudie l’opportunité d’une candidature aux Jeux de 2024 ne constitue pas une priorité pour vous, soyez certain que c’en est une pour le CIO. Le nouveau Président du CIO, Thomas Bach, et ses conseillers les plus proches, souhaiteraient une candidature américaine. La ville-hôte des Jeux de 2024 sera élue par le CIO en 2017. A cette date, vous ne serez plus en charge. Malgré tout, au sein du CIO, on a de la mémoire. Et en 2015, trois ou quatre douzaines de membres du CIO, peut-être plus, sont attendues à Washington pour l’Assemblée des 204 membres de l’Association des Comités Nationaux Olympiques. Là, ils se souviendront parfaitement que vous étiez là. Et, qu’en 2014, vous leur envoyé cela au visage.

Qui sommes-nous, Américains, pour utiliser les Jeux Olympiques pour donner aux Russes des leçons sur la gestion de leur propre pays ? Envoyer Billie Jean King à Sochi comme un symbole – mais de quoi ? D’un prétendu progressisme de notre société ou de notre supériorité morale ? N’est-ce pas présomptueux ou, pire, arrogant ?

Apprécierions-nous que les Russes – ou quiconque – viennent chez nous nous dicter notre conduite? Recevrions-nous leurs conseils sur la question de la peine de mort, que toute nation d’Europe de l’Ouest considère aujourd’hui comme une abomination morale? Et sur la question des armes à feu? Du cannabis légalisé? Etc, etc.

Monsieur le Président, le concept d’exception américaine n’est pas populaire partout le monde. Mais il est très fréquent que nous, Américains, soyons considérés de manière différente. Ici, vous auriez dû orienter votre choix de qui doit aller ou pas à Sotchi au sein de la délégation de la Maison Blanche vers une autre direction.

Vous auriez aussi du annoncer votre décision plus tôt. Dès dimanche, il a été révélé que le Président français, François Hollande, ne se rendrait pas à Sochi.

Sérieusement, Monsieur, vous ne voulez pas donner le sentiment que vous emboîtez le pas aux Français ?

Alan Abrahamson

3 Wire Sports

Los Angeles, California