
En plein débat sur l’héritage des Jeux olympiques et paralympiques 2024, la Fédération française de judo (FFJ) se présente comme un cas d’école. Elle a enregistré 592.000 licenciés en 2024-2025, contre 530.000 l’année précédente. Une progression record, boostée par les exploits de Teddy Riner, Clarisse Agbegnenou, Joan-Benjamin Gaba et leur bande… mais qui risque de se heurter au tour de vis budgétaire imposé par le gouvernement. David Inquel, vice-président de la FFJ, fait le point avec Francs Jeux.
592 000 licenciés, c’est un record pour la Fédération française de judo ?
Oui, on n’avait jamais atteint ce niveau. On est très heureux et on pense qu’il y a encore un potentiel énorme de croissance. Après Tokyo, on a mis en place le dispositif des 1000 dojos : on a créé 500 dojos dans des quartiers prioritaires en trois ans. On cherche des espaces vides inutilisés, on installe des tatamis, un prof, et on accueille les gamins. On a créé des infrastructures et on forme 500 nouveaux profs par an, on avait tout mis en place pour pouvoir accueillir ces nouveaux pratiquants.
Avez-vous constaté un afflux dans des catégories plus que d’autres ?
Ça s’est fait de manière assez homogène. On a 30 % de petites judokates, on se développe régulièrement sur cette catégorie. On est surtout une fédération de jeunes. Ça s’est encore renforcé. On va essayer de les garder un peu plus longtemps maintenant.
Cette hausse de 11% est en grande partie due à Paris 2024 ?
Les Jeux ont été un formidable détonateur pour montrer à quoi pouvait servir le sport. Toute cette fraternité, cette joie de vivre ensemble, le partage des émotions… Quelque chose d’exceptionnel a émergé. On a aussi eu des résultats exceptionnels avec neuf médailles, ça ne s’est jamais vu. Et puis cette fabuleuse journée en équipe, avec ce dénouement incroyable contre nos amis japonais, en terminant par Teddy… On n’imaginait pas ce scénario dans nos plus beaux délires. Il y a eu des millions de téléspectateurs devant cette finale, ça montre tout ce qu’on peut vivre comme émotions quand on foule un tapis de judo.
Au-delà des médailles, qui sont régulières pour le judo français, il y eu quelque chose de plus dans la façon dont le judo était mis en avant ou dans le storytelling ?
Le judo s’est mis en avant tout seul. On a la première médaille (Shirine Boukli, en bronze, ndlr). Notre Teddy qui allume la flamme, qui gagne son tournoi individuel en étant à un niveau technique, tactique et psychologique bluffant, puis qui remet ça en équipe. On a été très régulièrement mis en avant avec tout ça. Nos judokas sont aussi de beaux champions. Ils ont beaucoup d’humilité, dans la victoire ou dans la défaite.
Un an après, comment envisagez-vous l’avenir ?
Côté positif, je veux d’abord souligner l’engouement pour les para. Il y a eu un avant et un après. Enormément de frontières ont été éliminées entre le para et le judo. En revanche, il y a des choses qu’on ne comprend pas. On vient de supprimer le Pass’Sport (recentré sur les 14-17 ans, ndlr). Plus de 100.000 pratiquants en bénéficient chez nous. Je ne suis pas sûr que les gens ne vont pas se réinscrire au judo parce qu’il n’y a pas le Pass’Sport, mais il y en a certains, les plus démunis, qui vont être frappés par cette décision. Le programme des 1000 dojos est suspendu alors qu’on avait encore 500 dojos à ouvrir dans les quartiers difficiles. Je comprends qu’il y a des contraintes budgétaires, mais regardons ce qui s’est passé aux Jeux : on peut vivre tous ensemble comme ça.
Plein d’outils le permettent, comme la culture et le sport. C’est un moyen de réunir toutes les catégories socio-professionnelles. On a vu une joie de vivre qui me rappelait les tournois dans mon petit village, où tout le monde faisait la fête ensemble, du notaire à l’ouvrier. Le sport a cette magie. Un an après, les problèmes d’intégration, de diversité, de mixité, sont amplifiés, et personne ne se dit qu’il faut utiliser cet outil ? Non, on regarde ailleurs, on considère encore le sport comme un hobby, alors que ça a beaucoup plus de puissance. Et je ne parle même pas de l’impact sur la santé. Cet élan des Jeux n’a pas été suffisamment accompagné pour inciter tous ces gamins – et tous ces adultes – à faire du sport. C’est la direction dans laquelle on doit aller.

Vous vous attendez à une baisse du nombre de licenciés compte tenu de ce contexte budgétaire ?
Non, on s’attend à une hausse. On va trouver des solutions alternatives, des compensations économiques avec d’autres moyens de financement – les partenaires, les systèmes de formation, le développement d’autres disciplines. On reste très ambitieux. Le judo français, c’est 5.500 associations qui sont gérées par des milliers de bénévoles. On trouvera des moyens pour accompagner les jeunes, les clubs n’ont jamais fermé la porte à un gamin.