— Publié le 10 juin 2025

Amélie Oudéa-Castéra : « Dans notre société, on sous-utilise complètement le sport »

InstitutionsInterview Focus

Unique candidate en lice suite à l’abandon de Didier Séminet, Amélie Oudéa-Castéra deviendra présidente du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) le 19 juin. Elle succèdera ainsi à David Lappartient. L’ancienne ministre des Sports, qui était déjà « confiante » à la suite du grand oral, estimant que son projet avait « plus d’épaisseur », s’est confiée à Francs Jeux au sujet de cette fin de campagne et sur le projet qu’elle porte.


Comment avez-vous réagi à l’annonce du retrait de Didier Séminet ?

Comme tout le monde, j’ai été très étonnée de la tournure des choses. Je regrette cette décision car elle retire un choix aux électeurs. En bonne sportive, j’aime jouer les matchs jusqu’au bout, surtout quand je suis en train de les gagner. J’ai trouvé ce geste très inélégant. J’ai publié une lettre qui visait à rassembler. Cela reste une échéance démocratique très forte, on a besoin de la mobilisation de tous. C’est une AG élective importante, à la fois pour la présidence mais aussi pour le conseil d’administration.

Cela vous enlève une pression ?

En tout cas, je souhaite investir les prochains jours pour rassembler et bien préparer les choses. C’est important de remporter une large adhésion pour pouvoir ensuite peser de manière forte et unitaire. Dans une élection, c’est toujours mieux qu’il y ait une offre. En revanche, je constate qu’il y avait une sorte de force irrésistible dans cette campagne liée à la méthode que j’ai employée, basée sur de l’écoute, du travail et des valeurs.

Pourquoi voulez-vous devenir présidente du CNOSF ?

Parce que j’ai envie de me battre pour le sport français à un moment où ses intérêts sont menacés. Je ne veux pas que l’héritage retombe. Dans notre société, on sous-utilise complètement ce que peut apporter le sport en termes de santé, de confiance pour la jeunesse, de cohésion sociale, etc. Ce sont mes trois motivations : défendre le sport, contribuer à inscrire ses bienfaits plus au cœur de la société et éviter que l’héritage des Jeux de Paris 2024, sur lesquels j’ai énormément œuvré, ne retombe. On a le projet. Maintenant, il faut un peu de fioul budgétaire. Un immense rendez-vous arrive dans cinq ans, les Alpes 2030. Ça doit être un fil rouge, un aiguillon extraordinaire.

Être ancienne ministre des Sports, c’est un atout ou un handicap ?

Je pense que c’est un atout pour l’expérience et la connaissance des sujets. Pour moi, c’est parfaitement clair : la présidence du CNOSF n’a rien à voir avec un rôle ministériel. Vous répondez à vos mandants, les fédérations. Vous êtes du côté du cœur battant de l’opérationnalité du sport. On est au cœur du terrain, proche des bénévoles, de tous ceux qui portent au quotidien le sport français, y compris les athlètes. Je ne me trompe ni de rôle, ni de perspectives : je fais le choix de m’éloigner de la vie politique, c’est un engagement de société civile avec un seul parti, celui du sport français.

Vous avez insisté pendant votre oral sur le fait que n’étiez pas une femme politique. C’est parce que cette étiquette d’ancienne ministre peut faire tiquer certains votants ?

En tout cas, mon adversaire a essayé de jouer là-dessus. Ils ont dit que j’étais extérieure au mouvement sportif alors que je suis un pur produit fédéral dans tout mon parcours de sportive de haut niveau. J’ai eu un engagement bénévole au service de ma fédé dès l’âge de 30 ans. Je me suis investie dans le groupe de travail sur la reconversion des sportifs de haut niveau auprès des équipes fédérales, puis j’ai été élue à deux reprises.

Je ne suis pas une politique, je n’ai jamais pris ma carte dans aucun parti et je n’ai jamais politisé le sport. J’ai toujours gardé une posture factuelle, constructive, au service des intérêts du sport. Il m’avait aussi accusée de n’avoir rien dit sur la coupe de nos budgets, ce qui est un mensonge éhonté puisque j’ai réagi la première sur LinkedIn. J’ai appelé directement un certain nombre d’interlocuteurs pour leur dire ma manière de penser. Je me tiens très au courant de ce dossier, ce qui me permet de dire aujourd’hui qu’il faut continuer ce combat.

Concrètement, votre expérience ministérielle pourrait servir pour négocier et éviter des coupes budgétaires ?

Oui, j’estime que ma connaissance des dossiers et ma capacité à porter des argumentaires sur l’impact sociétal du sport sont un atout majeur. Connaître la décision politique, les temps masqués de la décision, savoir à quel moment il faut mettre la pression, connaître les interlocuteurs, savoir comment ils raisonnent… Cela permet de gagner du temps, d’appeler plus vite, d’être reçu plus vite. Je leur expliquerai que s’en prendre au sport n’est pas la solution. Ça fait très mal au sport, qui ne le mérite pas, c’est une trahison de l’héritage des Jeux, et en plus ça ne règle pas l’équation en matière de finances publiques. Pour ces trois raisons, c’est à côté de la plaque.

Votre programme serait compatible avec une baisse des moyens du CNOSF ?

Absolument. J’ai précisé que la traduction finale de mon programme dans la feuille de route opérationnelle tiendrait compte des derniers arbitrages budgétaires. Je rappelle aussi que le CNOSF, sur ce cycle qui s’ouvre, a des ressources au service de projets de développement du sport. Il est le récipiendaire de 20% du boni de liquidation des Jeux – 20% reviennent au CIO et les 60% restants iront dans un fonds de dotation. Le CNO peut compter sur l’accord de marketing conjoint sur les Alpes 2030, qui donne aussi des marges de manœuvre importantes, de l’ordre d’au moins 65 millions d’euros.

Il faut être extrêmement combatif sur nos budgets parce que couper une subvention, qui a en plus été contractualisée, c’est inadmissible. Si on devait absorber cette mauvaise nouvelle, il faut se battre pour qu’elle ne se répercute pas sur la relation financière entre le CNO et l’Etat dans les années suivantes. Ce sont les deux combats prioritaires de court terme. Au-delà, le troisième enjeu, c’est d’utiliser de la manière la plus intelligente possible les ressources que le CNO a grâce à l’accord de marketing sur les Alpes et grâce à ce boni de liquidation des Jeux. Ces ressources ne sont pas pour le fonctionnement du CNO, elles sont là pour soutenir des projets de développement du sport.

Le boni de Paris 2024 devrait justement être beaucoup plus élevé que prévu. C’est une bonne surprise ?

C’est une bonne nouvelle pour le sport français puisque le gros de ce boni, les 60% gérés collégialement, viendront abonder des projets de développement du sport, permettront de continuer à célébrer les Jeux et appuyer les athlètes. Maintenant, il faut rester combatif afin que les ressources durables du sport français soient aussi confortées.

Avant le retrait de Didier Séminet, les petites fédérations semblaient de manière moins nette de votre côté par rapport aux plus grosses. Comment vous l’expliquez ?

Je pense que les petites étaient plus indécises parce qu’elles ont moins travaillé avec moi. Elles pouvaient avoir l’impression, ou la crainte, que j’aie un biais pro fédérations olympiques avec mon histoire sur les JO. Justement, la campagne a permis de montrer ma disponibilité, mon écoute. J’ai reçu beaucoup de messages depuis le grand oral me disant : « On est vraiment content , on s’est retrouvé dans ton programme, on a retrouvé des choses qu’on t’avait dites. »

Vous avez multiplié les ateliers et les moments d’échange avec les présidents des fédérations. L’idée est vraiment de bâtir un projet commun ?

Absolument. Je l’ai dit, pour moi, il n’y a pas de petite fédération. Quand on s’occupe du sport, il n’y a pas de petite responsabilité. Je leur ai montré, par mes propositions, qu’ils auraient tous de l’importance pour moi, sans distinction. Je veux que le CNO soit utile et au service de l’intégralité de ses membres. J’ai proposé une méthode pour ça avec des logiques de groupes de travail, la re-création du collège des fédérations multisports ou affinitaires. J’ai pris des initiatives concrètes, des groupes pilotes, pour un dispositif sur les violences sexuelles qui permet de montrer que c’est en priorité vers les petites fédérations que l’appui du CNO sera dirigé.

« Pourquoi le sport et l’environnement font si bon ménage ? C’est parce que le sport, en soi, c’est du développement durable. »

.

Quelles sont les trois mesures concrètes les plus représentatives de votre vision ?

Je dirais le débat territorialisé menant au livre blanc du sport français ; la prise en charge, dans un comité disciplinaire ad hoc, de la gestion des cas de violences sexuelles pour les fédérations qui sollicitent l’intervention du CNOSF ; et une maison du Sport français rénovée, beaucoup plus attractive pour toute la communauté du mouvement sportif, les athlètes et nos partenaires.

Qu’en est-il de l’eSport ?

Je l’ai mentionné dans les opportunités liées à l’essor des nouvelles pratiques. J’ai ces Jeux olympiques de l’eSport en 2027 en tête. Pour moi, on doit essayer de privilégier les sports qui sont augmentés, plutôt que les purs jeux vidéo, et on doit faire en sorte que la pratique du eSport se fasse le plus possible en club, pour éviter l’isolement des jeunes et leur sédentarité. La France est en train d’émerger comme une grande nation eSport avec de super équipes, de super athlètes, et il faut que cela s’arrime au projet que l’on porte pour l’ensemble du sport français.

David Lappartient a récemment engagé le CNOSF, via « Sport for Climate Actions », à mettre en œuvre un plan de décarbonation ambitieux et réduire ses émissions de 50 % d’ici 2030. Vous êtes prête à concrétiser cet engagement ?

J’ai toujours été très engagée sur ces questions. C’est moi qui ai conçu le plan national d’adaptation au changement climatique avant qu’il ne soit publié plus récemment par le ministère. J’ai porté le plan de sobriété énergétique du sport avec une diminution en 2022-2023 de 12% des consommations énergétiques du sport. Chacun connaît mon engagement, le sport doit être exemplaire dans la transition écologique. Il peut promouvoir des comportements responsables, notamment grâce à son lien à la jeunesse, ce qui en fait un atout.

Le sport doit prendre sa part, tout en mettant en balance des éléments de mise en conformité sur le plan écologique, la préservation de la pratique sportive et le fait de réduire le plus possible les formalités administratives. J’ai vu beaucoup de fédérations investies sur les sujets de tourisme sportif, de disciplines outdoor, conscientes que le sport va avec l’environnement. C’est mon message clef : pourquoi le sport et l’environnement font si bon ménage ? C’est parce que le sport, en soi, c’est du développement durable. Il y a une philosophie commune, l’idée de faire du bien à la société et au milieu dans lequel on vit.

Beaucoup de clubs sont confrontés à des difficultés pour recruter ou conserver leurs bénévoles. Comment y remédier ?

Cela reste le premier secteur d’engagement mais oui, il y a des signes d’essoufflement. Il faut qu’on continue à former des femmes dirigeantes, qu’on ait une attractivité vers la jeunesse avec une logique de valorisation des acquis de l’expérience, pour qu’un jeune qui s’engage puisse le valoriser dans son CV. C’est aussi pour ça qu’il faut qu’on renforce les droits, notamment à la formation, pour les bénévoles qui s’engagent. C’est aussi pour moi extrêmement important d’avoir un mouvement de simplification administrative. Ce qui décourage les bénévoles aujourd’hui, c’est quand ils doivent faire de la paperasse plutôt qu’être sur le terrain au contact des autres.