— Publié le 31 mai 2022

Après le fiasco, la bataille des mots

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Etonnant scénario. Les scènes de chaos en marge de la finale de la Ligue des Champions de football, samedi soir au Stade de France, ont débouché lundi 30 mai sur une prolongation peu attendue en pareille circonstance : une bataille de chiffres et d’accusations entre la France et la Grande-Bretagne.

Montrées du doigt après le fiasco de l’organisation, les autorités françaises ont pris les devants. Une réunion d’urgence a été organisée lundi en fin de matinée, au ministère des Sports. Elle a rassemblé toutes les parties prenantes, dont l’UEFA, la Fédération française de football, la préfecture de police de Paris et les représentants du Stade de France. Aux manettes, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et la nouvelle ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra (photo ci-dessus).

Au sortir de la réunion, les deux membres du gouvernement français n’ont pas cherché longtemps leurs mots pour désigner les coupables. Ils ont pointé la responsabilité des supporteurs britanniques.

Gérald Darmanin a évoqué sans nuance une « fraude massive, industrielle et organisée de faux billets« . Puis il a cité ses chiffres, sans en préciser la source : « 30 000 à 40.000 supporters anglais se sont retrouvés au Stade de France, soit sans billet, soit avec des billets falsifiés. Nous pensons que la fraude vient de l’autre côté de la Manche ».

Selon le ministre de l’Intérieur, le bilan aurait pu être dramatique sans les décisions prises par la police et le préfet, Didier Lallement. « Il y aurait eu des morts« , a avancé Gérald Darmanin.

Plus nuancée, Amélie Oudéa-Castéra a expliqué vouloir « tirer toutes les leçons pour éviter que de tels incidents se reproduisent pour nos futurs grands événements sportifs internationaux. On a vu que nous devions nous améliorer, a fortiori dans des matches à risque, sur certains aspects de la gestion des flux au sortir des transports sur des zones de premier filtrage, de second filtrage. »

Le message est clair : la France ne peut pas être jugée responsable du chaos d’une finale de la Ligue des Champions initialement attribuée à la ville russe de Saint-Pétersbourg.

Vraiment ? Côté britannique, la version de la soirée et de ses débordements se révèle très différente. Opposée, même.

Le député britannique Ian Byrne, présent samedi soir au Stade de France, évoque une situation « horrible. » Il l’a raconté à la chaîne Sky News : « Traiter les supporters comme des animaux lors du plus grand match européen de l’année, comme ils l’ont fait, est impardonnable. Le maintien de l’ordre a été lamentable, les stewards lamentables, avec une mauvaise gestion autour du stade et des portes d’accès au stade fermées« .

Le quotidien anglais The Independent expliquait lundi 30 mai avoir interrogé de nombreuses personnes présentes au Stade de France. Tous les témoignages concordent pour suggérer que le problème principal a été « l’incapacité absolue des autorités à s’adapter à une grève des travailleurs du RER B le jour de la finale. Cela a créé un goulot d’étranglement, puis un effet domino. »

The Independent poursuit : « La grève a entraîné la fermeture de la gare principale, ce qui signifiait initialement que les supporteurs devant s’asseoir dans la partie réservée à Liverpool ont été dirigés vers une voie secondaire du RER D. Celle-ci ne compte que quatre couloirs, alors que le point d’entrée habituel en compte douze. Le problème est que personne n’a changé le plan, ce qui signifie que des milliers de supporteurs se sont retrouvés coincés dans cette seule zone, créant immédiatement une énorme congestion trois heures avant le match. »

Le quotidien cite le témoignage d’un habitué des déplacements de Liverpool, Phil Blundell. « Nous sommes descendus du train vers 18 h 30, raconte-t-il. On nous a ensuite dirigés vers le stade par un passage souterrain sous l’autoroute. Mais notre progression a été très très lente. Il fallait emprunter une rampe à environ 200 mètres après les escaliers, un véritable goulot d’étranglement« .

Même son de cloche côté espagnol. Enrique Cazorla, un socio du Real Madrid, a raconté au quotidien El Mundo avoir été pris pour cible par des voleurs à l’arrachée. « Ce sont les gendarmes qui nous ont lancé du gaz poivré et des balles en caoutchouc, a-t-il expliqué. On est descendus dans le métro mais c’était déjà devenu une souricière. Trouver un taxi ? Ils nous ont demandé 300 euros pour nous sortir de là. »

Pour Ronan Evain, le directeur exécutif du réseau Football Supporters Europe, les chiffres de la fraude aux billets et les explications avancées par Gérald Darmanin ne tiennent pas. « Cela ne correspond absolument pas à nos remontées, a-t-il confié à L’Equipe. Et je ne vois pas comment le ministère a pu arriver à cette estimation-là aussi rapidement. Selon nous, c’est extrêmement marginal, dans les mêmes proportions que d’habitude, voire un peu moins qu’à Madrid (lors de la finale Liverpool-Tottenham en 2019). »

L’UEFA, de son côté, a annoncé commander un « rapport indépendant sur les événements autour de la finale de la Ligue des champions« . Il sera confié à l’ancien ministre portugais de la Jeunesse et des Sports, Tiago Brandão Rodrigues.

Gérald Darmanin et Amélie Oudéa-Castéra seront auditionnés par le Sénat, mercredi 1er juin, sur les incidents du Stade de France.