— Publié le 10 mars 2022

L’escrime, une francophonie à sauvegarder

Institutions Focus

Certains signes ne trompent pas. Au sein du mouvement olympique, seulement une poignée de fédérations internationales ont conservé une appellation francophone. La Fédération internationale d’escrime (FIE) en fait partie. Elle reste l’une des dernières toujours fidèle à une culture et une tradition ancrées au début du siècle dernier.

La création de l’Alliance francophone d’escrime (AFE), dont le lancement est prévu à l’occasion d’un séminaire organisé ces trois prochains jours à Paris (10 au 12 mars), s’inscrit donc comme une forme d’évidence. Escrime et francophonie ont longtemps avancé du même pas. La FIE a été créée à Paris, en novembre 1913, dans les locaux de l’Automobile Club de France. La capitale française a accueilli, un siècle plus tard, les célébrations de son 100ème anniversaire. La première édition des championnats du monde a eu lieu à Paris, elle aussi, en 1921.

Les historiens sont formels : le premier tournoi d’escrime s’est déroulé en France, le 15 janvier 1893. Trois siècles plus tôt, la France avait déjà vu naître l’Académie des maîtres d’armes, un jour de l’année 1567, puis dans la foulée, l’école française d’escrime.

Autre singularité de l’escrime : les engagements dans les rencontres internationales se font en français. « En garde ! Prêts ? Allez. » Une affaire de tradition. Une forme d’évidence, jamais contestée, prolongée avec le temps comme un hommage au passé. L’explication tient en deux noms : Chasseloup-Laubat et Camille Prévost. Le premier était marquis, le second un roturier. Ensemble, les deux Français ont rédigé les premiers règlements officiels de l’escrime.

La suite a longtemps emprunté la même voie. Sur les six premiers présidents de la FIE, cinq étaient issus d’un pays francophone. Le Belge Albert Feyerick a siégé le premier (1913-1921). Le Français André Maginot lui a succédé (1921-1924). Seul intrus d’une lignée de francophones à la tête de l’instance pendant quatre décennies, jusqu’u milieu des années 50 : le Néerlandais Georges van Rossem (1925-1928).

En plus d’un siècle d’existence, la FIE a connu seulement trois présidents ayant assuré un mandat d’au moins 15 ans. Ils étaient tous issus d’un pays francophone : un Belge, Paul Anspach (1933-1948) ; deux Français, Pierre Ferri ( 1957-1960, puis 1965-1980), et René Roch (1993-2008).

L’influence francophone n’a pas seulement pesé dans les réunions de l’instance internationale. Une poignée de maîtres d’armes aux états de service dorés sur tranche ont aussi apporté leur pierre. Deux exemples parmi les plus illustres : Christian Bauer et Daniel Levavasseur. Le premier a transporté son paquetage un peu partout dans monde : en Italie pour les Jeux d’Athènes en 2004, en Chine avant les Jeux de Pékin 2008, puis en Russie pour entraîner les sabreurs. Daniel Levavasseur, connu pour avoir un temps accompagné la carrière de Laura Flessel, a pris en mains l’escrime féminine chinoise, pour la mener sur le podium aux Jeux de Rio 2016.

Francophone, l’escrime l’a donc toujours été. Mais les temps changent. L’arrivée à la présidence de la FIE du Russe Alisher Usmanov, élu pour la première fois en 2008, réélu à trois reprises, a contribué à inverser le cours de l’histoire. Certes, l’instance internationale a conservé son nom en français. Mais ses initiales sont désormais accolées à l’appellation d’International Fencing Federation. Un signe.

Le site Internet de l’instance est décliné en trois versions, anglaise, française et espagnole. Mais certains communiqués sont proposés seulement en anglais, au mépris d’une règle imposant le français comme langue officielle.

Surtout, la sphère francophone peine à peser toujours autant dans les organes de décision. Seulement deux francophones siègent actuellement au comité exécutif de la FIE, le Français Bruno Garès, président de la fédération française (FFE), et le Sénégalais Mbagnick Ndiaye, président de la confédération africaine.

La création de l’Alliance francophone d’escrime intervient à une date charnière. A un peu plus de deux ans des Jeux de Paris 2024. Le moment le mieux choisi pour porter les valeurs, la vision et l’influence de la francophonie.