— Publié le 27 juillet 2020

Grigory Rodchenkov fracasse encore le mur du silence

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La Russie n’avait vraiment pas besoin d’une nouvelle affaire. Toujours sous la menace d’une suspension de quatre ans du mouvement olympique, le sport russe est pointé du doigt pour ses pratiques dopantes dans un livre à charge à paraître en fin de semaine dans sa version anglaise.

L’auteur n’est pas un inconnu. Grigory Rodchenkov, l’ancien patron du laboratoire antidopage de  Moscou, est entré à la postérité comme lanceur d’alerte. Ses révélations en 2015, délivrées depuis les Etats-Unis où il vit en exil, ont été à l’origine du scandale du dopage russe aux Jeux d’hiver de Sotchi en 2014. Elles ont alimenté le rapport McLaren.

Cinq ans après sa première bombe, Grigory Rodchenkov récidive. Le scientifique russe signe une autobiographie trempée dans le souffre. Son titre en dit long : The Rodchenkov Affair – How I Brought Down Putin’s Secret Doping Empire. En français, L’affaire Rodchenkov – Comment j’ai fait tomber l’empire du dopage secret de Poutine.

Le livre sortira jeudi 30 juillet, mais ses bonnes feuilles ont été publiées dimanche 26 juillet par le quotidien britannique Mail on Sunday.

A l’heure de dévoiler ses dossiers, Grigory Rodchenkov démarre en douceur. Il raconte son enfance en Union Soviétique, puis ses années d’études à Moscou, où il est confronté pour la première fois, en sa qualité d’athlète, à la réalité du dopage.

Puis le Russe accélère le rythme. Il évoque l’année 1984 et les Jeux olympiques de Los Angeles. Et, surprise, dévoile une explication encore jamais suggérée du boycott de l’Union Soviétique. « Les Soviétiques avaient prévu de cacher un laboratoire de contrôle du dopage à bord d’un navire dans le port de Los Angeles pendant les Jeux Olympiques de 1984, après que Manfred Donike (ndlr : responsable antidopage du CIO) et Don Catlin du laboratoire d’analyse olympique de l’UCLA avaient annoncé qu’ils seraient capables de détecter tous les produits – y compris le stanozolol et la testostérone, raconte-t-il. Tester les athlètes avant leur départ ne suffirait pas – les tsars du sport soviétique devaient avoir leur propre laboratoire sur place afin de s’assurer qu’aucun athlète soviétique sale ne se rendrait sur les lignes de départ. Quand Los Angeles n’a pas permis à notre navire d’entrer dans le port, ça a été la goutte d’eau. Le Politburo a tout débranché et boycotté entièrement les Jeux olympiques. »

A en croire Grigory Rodchenkov, le boycott des Jeux de Los Angeles en 1984 n’était donc pas politique. Il était dicté par les règles du dopage. Le Russe précise que le navire en question était bien présent en Corée du Sud pendant les Jeux de Séoul en 1988.

L’autre révélation concerne Ben Johnson. Grigory Rodchenkov affirme que le sprinteur canadien était déjà tombé dans les filets de la lutte antidopage aux Goodwill Games organisés par Ted Turner à Moscou en 1986. Deux ans avant les Jeux de Séoul et son fracassant contrôle positif au stanozolol, Ben Johnson avait été testé positif par l’URSS. Grigory Rodchenkov raconte dans son autobiographie avoir analysé lui-même les échantillons prélevés après sa victoire en finale du 100 m, où il s’était imposé en 9 sec 95, devant le Nigérian Chidi Imoh et l’Américain Carl Lewis

« L’analyse du contrôle du dopage aux Goodwill Games s’est avérée être une formalité, écrit-il. Notre laboratoire a découvert 14 résultats positifs, mais les apparatchiks de Goskomsport (ndlr : le ministère soviétique des Sports) ont choisi de ne pas les signaler. Ben Johnson a battu Carl Lewis, mais a ensuite été testé positif au stanozolol. J’ai fait son analyse. Le résultat n’a jamais été rapporté. »

Moins inattendu mais toujours éloquent, un épisode des Jeux de Sotchi 2014. Grigory Rodchenkov explique avoir manqué la cérémonie de clôture, car il assistait au même moment dans le secret d’un bureau à la « dernière séance importante d’échange de flacons d’urine, pour protéger deux médaillés d’or russes. » L’un d’eux serait le bobeur Alexandre Zubkov, le porte-drapeau de la délégation russe.