— Publié le 28 février 2019

En fissurant la règle 40, l’Allemagne ouvre une brèche

Institutions Focus

La prochaine révolution olympique pourrait venir d’Allemagne. Elle s’annonce comme un bouleversement des règles susceptible de porter un coup sérieux au CIO, à ses traditions, et par extension à son président, Thomas Bach… lui-même citoyen allemand.

Les faits, d’abord. Mercredi 27 février 2019, l’agence allemande antitrust, la Bundeskartellamt, a rendu un verdict qui pourrait bientôt être qualifié d’historique dans le mouvement olympique. Elle a décidé d’assouplir les restrictions commerciales « abusives » imposées aux athlètes pendant les Jeux.

Dans son verdict, elle estime que le CIO et le comité national olympique allemand (DOSB) doivent être soumis aux lois locales. Sa décision vise directement la règle 40 de la charte du CIO, qui interdit aux athlètes d’utiliser leur nom et leur image à des fins publicitaires pendant la période des Jeux, hiver comme été.

Les athlètes allemands en contestaient la légalité. Ils viennent d’obtenir gain de cause. La décision de l’agence antitrust autorise désormais les athlètes à utiliser des termes tels que « médaille, or, argent, bronze, Jeux d’hiver ou d’été », sur les réseaux sociaux. Elle permet également aux athlètes allemands d’utiliser certaines photos d’eux-mêmes aux Jeux, notamment celles où les symboles olympiques ne sont pas visibles.

A ce stade de l’histoire, l’affaire reste très nationale. Elle concerne l’Allemagne, seulement l’Allemagne. Le CIO ne s’y trompe pas. L’un de ses porte-paroles l’a précisé mercredi 27 février : ces nouvelles règles « seront valables en Allemagne au moins jusqu’à la fin des Jeux olympiques d’hiver 2026. »

L’organisation olympique poursuit : « Par sa décision, l’agence allemande a reconnu qu’il y avait des raisons légitimes de restreindre les possibilités de publicité des athlètes afin d’assurer l’organisation des Jeux olympiques. En même temps, l’application de la règle 40 au niveau national doit nécessairement tenir compte de toutes les lois et réglementations, ainsi que de la jurisprudence, en l’occurrence celle de l’Allemagne. »

Le CIO n’en démord pas : la règle 40 constitue toujours à ses yeux « une base fondamentale du modèle solidaire des Jeux olympiques ». Elle constitue le garant de la participation de tous les pays et de tous les sports à l’événement.

Pour rappel, la règle 40 de la charte olympique stipule que « sauf autorisation de la commission exécutive du CIO, aucun concurrent, entraîneur ou officiel qui participe aux Jeux olympiques ne peut permettre que sa personne, son nom, sa photo ou ses performances sportives soient utilisés à des fins publicitaires pendant les Jeux. » L’exploitation commerciale des Jeux est donc réservée au CIO et au comité d’organisation. Les athlètes, principaux acteurs de l’événement, en sont exclus. La règle 40 leur interdit la publicité pendant une période allant de 9 jours avant l’ouverture des Jeux à 3 jours après la clôture.

Le président de l’agence allemande antitrust, Andreas Mundt, l’a expliqué dans un communiqué : « Nous veillons à ce que les possibilités de publicité des athlètes allemands et de leurs sponsors pendant les Jeux olympiques, considérablement limitées dans le passé par le CIO et le DOSB, soient désormais étendues. Bien que les athlètes soient les figures clés des Jeux olympiques, ils ne peuvent pas bénéficier directement des revenus publicitaires très élevés du CIO générés par les sponsors officiels. »

Les athlètes allemands ne sont pas les premiers à partir en guerre contre la règle 40 de la charte olympique. Aux Jeux de Londres en 2012, l’équipe américaine avait fait campagne contre ses restrictions en utilisant le hashtag « wedemandchange ».

Dawn Harper, la médaillée d’argent du 100 m haies, avait posté sur son compte Twitter une image de son visage, la bouche bâillonnée par du ruban adhésif marqué « Rule 40. »

La suite ? A ce stade de l’histoire, le danger reste lointain. La décision allemande concerne seulement les athlètes allemands. Mais il serait étonnant que cette victoire face à la sacro-sainte règle 40 ne donne pas des idées à leurs collègues des autres pays. A 18 mois des Jeux de Tokyo 2020, beaucoup pourraient s’engouffrer dans la brèche et tenter à leur tour de fissurer la charte olympique. Les Américains, notamment. Affaire à suivre.