Candidatures

Le double vote 2024-2028, un billard à trois bandes

— Publié le 10 avril 2017

La 16ème édition de la Convention SportAccord a démonté son décor vendredi après-midi, à Aarhus, au Danemark, au terme d’une semaine sans temps mort. Une semaine où les conversations ont beaucoup tourné, dans les couloirs et sur les stands du centre d’exposition, autour du scénario d’un double vote 2024-2028 lors de la prochaine session du CIO, en septembre 2017. Une session initialement prévue à Lima mais qui devrait, sauf surprise, être déplacée vers une ville du Golfe (Dubaï, Abu Dhabi ou Doha), voire un pays d’Asie du sud-est (Singapour, Thaïlande).

Le double vote, donc. Au départ, un vague projet, suggéré en décembre dernier par Thomas Bach à l’occasion d’une conférence de presse. Sur le moment, l’option semblait nouvelle mais lointaine. Aujourd’hui, elle apparaît quasi-certaine. Thomas Bach la veut dès cette année, au risque de bousculer en cours de partie les règles du jeu. Il le veut, donc cela se fera. Le retrait de Budapest de la course aux Jeux lui a enlevé une épine du pied. Avec seulement deux candidates en lice, Los Angeles et Paris, pour un scrutin à deux échéances, 2024 et 2028, le président du CIO peut concrétiser son ambition : faire seulement des gagnants, ne plus regretter un seul perdant. Une aubaine.

En attribuant les deux prochains Jeux d’été en une seule fois, le 13 septembre prochain, le CIO réglerait d’un coup une part de ses soucis du moment. Il écarterait l’hypothèse, toujours malvenue, d’une course aux Jeux de 2028 où les candidats disparaîtraient les uns après les autres en cours de processus. Il pourrait à nouveau rouler des mécaniques avec deux éditions olympiques consécutives organisées dans deux des villes les plus prestigieuses sur la planète, Los Angeles et Paris. Il s’éviterait le risque d’une ville-hôte trop dispendieuse (Sotchi 2014), ou d’un pays à l’économie en château de cartes (Brésil 2016). Il s’achèterait tout le temps nécessaire pour se refaire une santé et modifier en profondeur ses règles de désignation.

Pour toutes ces raisons, il semble difficile d’imaginer que le CIO choisisse de reculer et de reporter son projet à l’élection suivante. Le double vote se fera. Aux deux villes en lice de l’accepter. A Aarhus, la semaine passée, il apparaissait très clair que les équipes de Los Angeles et Paris se sont faites une raison. Même si, dans le discours officiel, les uns et les autre continuent de parler de l’option 2028 comme d’une « pure spéculation » et prétendent se « concentrer exclusivement sur 2024 ». En réalité, la vraie question ne concerne plus la possibilité d’un double vote, elle s’oriente désormais sur l’ordre du résultat. Paris 2024 et Los Angeles 2028, ou l’inverse?

A ce jour, rien n’est tranché. Les deux équipes de candidature jurent leurs grands dieux qu’il serait « impossible » de recevoir les Jeux après 2024. Paris le répète avec force. Los Angeles se montre moins catégorique. Dans les deux cas, il est difficile d’en comprendre la raison au moins sur le plan technique, avec deux projets où plus de 90% des sites existent déjà où seraient seulement temporaires. Les terrains du futur village des athlètes ne seraient plus disponibles pour des Jeux en 2028, martèle Paris 2024. Soit. Mais il doit bien exister une autre option, au moins aussi séduisante, dans un département de la Seine-Saint-Denis où tout projet immobilier d’envergure au financement garanti a des allures de cadeau du ciel.

Il reste donc à trouver un ordre. Le bon ordre. Un jeu de billard à trois bandes où les règles se révèlent complexes. Fidèle à son habitude, le CIO ne tranchera pas dans le vif. Il attendra que les deux rivales trouvent un accord ou, au moins, une solution au problème. Tout juste devra-t-il inventer un mode de scrutin, pour la prochaine session, où le candidat héritant des Jeux en 2028 ne passe pas pour le battu du jour, crédité d’un vulgaire lot de consolation. Un mode de scrutin où les deux villes auraient gagné les Jeux, l’une pour 2024, l’autre pour 2028. Deux gagnantes, pas une seule perdante. Pas simple mais faisable.

Dans les deux camps adverses, la situation est contrastée. Anne Hidalgo ne veut pas entendre parler de l’option 2028, peu en accord avec son propre agenda politique. Ayant affiché son soutien à Benoît Hamon, la maire de Paris sortirait très renforcée, en cas de victoire dans la course aux Jeux de 2024, dans un paysage socialiste sinistré. Un succès à la session du CIO du mois de septembre 2017 la placerait en position de force au sein d’un parti à reconstruire. « En même temps, avoir les Jeux, même en 2028, constituerait une formidable nouvelle pour le mouvement sportif français », glisse un proche du dossier.

A Los Angeles, le contexte politique se présente sous un jour moins tranché. Eric Garcetti, le maire de la ville californienne, a été réélu le mois dernier à une écrasante majorité (81%). Une forme de plébiscite. Le Démocrate peut voir loin, pour la métropole comme pour lui-même. Mais lui non plus ne veut pas perdre. « Nous sommes tous les deux des compétiteurs », a suggéré Anne Hidalgo à FrancsJeux. Il pourrait accepter l’option 2028 à la condition exclusive qu’elle représente une victoire, sur la forme comme sur le fond. Il lui faudrait obtenir une vraie compensation. Laquelle? Comment? Il revient aujourd’hui au CIO de trouver les réponses et de les rendre très convaincantes, pour les deux villes autant que pour ses propres membres.