— Publié le 9 mars 2015

L’UCI déterre son passé… et révèle un présent trouble

Institutions Focus

L’effet Brian Cookson? Elu en septembre 2013 à la tête de l’Union cycliste internationale (UCI), le Britannique avait promis une nouvelle ère pour le cyclisme, nettement plus transparente. Il est en train de tenir parole. La commission d’enquête indépendante pour une réforme du cyclisme (CIRC) mise en place à son initiative, afin de faire la vérité sur les pratiques de la discipline, son passé et ses malversations, a rendu public son rapport, dans la nuit de dimanche à lundi. Un rapport de 227 pages établi par ses trois membres, le Suisse Dick Marty (ancien procureur du Tessin), l’Australien Peter Nicholson (ancien conseiller du gouvernement allemand), et l’Allemand Ulrich Haas (arbitre au Tribunal arbitral du sport).

En soi, la démarche marque un profond changement. Il n’est pas si fréquent de voir une fédération internationale vouloir enquêter sur son passé et ses dérives. Et moins fréquent encore qu’elle accepte d’en publier tous les détails. Le pitoyable feuilleton du rapport Garcia, commandé par la FIFA pour enquêter sur les conditions d’attribution des Mondiaux 2018 et 2022, a démontré que le courage n’était pas souvent la première qualité des dirigeants sportifs.

Que renferme le rapport de l’UCI? Soyons honnêtes, il manque cruellement de vraies révélations. Mais il a le mérite de dresser un tableau à charge très documenté sur la grande proximité des anciens dirigeants de l’UCI avec l’Américain Lance Armstrong, ex-septuple vainqueur du Tour de France. « L’UCI l’a vu comme le choix idéal pour la renaissance de ce sport après le scandale Festina », estime la CIRC. En clair, l’arrivée du Texan au sommet du cyclisme mondial a été accueillie comme une aubaine par l’UCI, persuadée de voir son audience et ses revenus boostés par ses performances.

Lance Armstrong aurait donc bénéficié, selon le rapport, d’un traitement de faveur de la part de l’UCI. Le règlement valait pour les autres, pas pour lui. Il a eu, par exemple, la possibilité de recourir en 2009 en Australie avec quelques jours d’avance par rapport aux règles. « La direction de l’UCI ne savait pas faire la différence entre le héros Armstrong, le septuple vainqueur du Tour survivant du cancer et modèle pour des milliers de fans, et le coureur Armstrong, doté des mêmes droits et obligations que tout autre cycliste professionnel », conclu le rapport.

« Il y avait un échange tacite de faveurs entre les dirigeants de l’UCI et Lance Armstrong et ils ont présenté un front commun contre quiconque oserait l’attaquer, poursuit la CIRC. L’UCI a adopté une position défensive comme si chaque attaque contre Armstrong était une attaque contre le cyclisme et l’UCI. »

Les trois enquêteurs mandatés par l’UCI ont auditionné en 13 mois le total respectable de 174 témoins. Parmi eux, Lance Armstrong, Alexander Vinokourov et Christopher Froome. Un témoin sur quatre appartient au personnel de l’UCI, 15% des personnes interrogées sont des coureurs, actuels ou anciens. Il en ressort un bilan particulièrement désastreux de la gouvernance du cyclisme mondial par ses deux anciens présidents, le Néerlandais Hein Verbruggen et son successeur, l’Irlandais Pat McQuaid.

La CIRC accable la politique menée jusqu’en 2006. Elle la qualifie d' »insuffisante », car surtout soucieuse de l’image et tournée vers une approche quantitative. Par la suite, reconnaît le rapport, la période est « marquée par des améliorations constantes et une volonté croissante de lutte contre le dopage au niveau de ses racines ». McQuaid aurait donc été moins pire que Verbruggen, mais sans vraiment mériter les éloges. Il est décrit comme un « leader faible » par les témoins issus de l’UCI, encore sous forte influence d’Hein Verbruggen.

A défaut de scoops, le rapport de la CIRC se révèle surprenant par sa franchise lorsqu’il aborde la question du présent. Certes, il met en avant les progrès réalisés et la volonté de nombreux acteurs de faire table rase du passé et repartir sur des bases plus saines, Mais les enquêteurs de l’UCI n’hésitent pas non plus à écrire noir sur banc que le dopage n’a pas disparu du peloton. « Le dopage et la tricherie demeurent évidents dans le peloton, même s’ils ne sont probablement plus aussi endémiques que par le passé, pointe le rapport. La CIRC considère qu’une culture du dopage continue d’exister dans le cyclisme. » Elle relève notamment des pertes de poids « inexplicables » chez certains coureurs. Et elle assure que les dopés du moment se servent d’un microdosage suffisamment maîtrisé pour passer entre les mailles des contrôles.