— Publié le 8 décembre 2014

« Le succès est la meilleure raison de changer »

Institutions Focus

Thomas Bach, le président du CIO, a ouvert dimanche 7 décembre, en début de soirée, la 127ème session de l’institution olympique à Monaco. Une session annoncée comme historique pour l’avenir des Jeux et du mouvement olympique. A cette occasion, le dirigeant allemand a prononcé devant ses pairs un long discours. Nous le publions en intégralité, dans sa version française.

« Il ne pouvait y avoir d’hôte plus emblématique pour cette Session extraordinaire du Comité International Olympique que notre cher collègue, Son Altesse Sérénissime le Prince Albert II de Monaco. Ayant participé à cinq éditions des Jeux Olympiques en tant qu’athlète et aujourd’hui chef d’État, il incarne l’esprit même de l’Agenda olympique 2020 qui vise à sauvegarder les valeurs olympiques et à renforcer la place du sport dans la société. Pour cela, je tiens à remercier sincèrement le Prince Albert pour son invitation, ainsi que toute son équipe du Comité Olympique Monégasque pour son organisation efficace et son très chaleureux accueil.

C’est aussi avec grand plaisir que nous souhaitons une très cordiale bienvenue à Son Excellence Monsieur Didier Burkhalter, président de la Confédération suisse, laquelle nous offre sa belle hospitalité depuis quatre-vingt-dix-neuf ans.

« Le sport a le pouvoir de changer le monde. »

Ces mots sont ceux de Nelson Mandela, grand humaniste et leader charismatique. Ce message devrait nous encourager à contribuer au progrès à travers le changement. Cela s’adresse à nous en priorité. Nous pouvons uniquement exhorter les autres au changement si nous-mêmes sommes prêts à changer. Nous sommes tous réunis ici pour conduire ce changement dans le sport.

Lorsque que vous amorcez un changement, vous devez répondre aux trois questions suivantes : Pourquoi ? Quoi ? Comment ?

Pourquoi devrions-nous opérer des changements importants et de grande envergure au sein du Mouvement olympique ? Nous avons assisté à des Jeux Olympiques exceptionnels en 2012 et 2014. Nous bénéficions d’une stabilité financière. Nous redistribuons plus de 90 % de nos revenus au sport et aux athlètes. En d’autres termes : le CIO investit plus de trois millions de dollars par jour – chaque jour de l’année – pour soutenir le sport partout dans le monde. Jamais encore les Jeux Olympiques n’avaient été suivis par autant de personnes aux quatre coins de la planète. Notre succès est indéniable. Le succès est la meilleure raison de changer.

Dans notre monde – en constante et rapide évolution – les succès d’hier ne sont rien aujourd’hui. Et les succès d’aujourd’hui ne sont qu’une occasion d’amorcer le changement pour demain. Forts de nos 120 ans d’histoire, nous avons, tous ensemble, commencé à anticiper, il y a de cela un an et demi, les défis qui nous attendent. Les défis auxquels nous faisons d’ores et déjà face et, plus important encore, les défis qui se profilent à l’horizon. Si nous ne répondons pas à ces défis ici et maintenant, très vite nous nous heurterons à eux. Si nous ne sommes pas à l’origine de ces changements, d’autres nous y pousseront. Nous voulons être les acteurs de ces changements dans le sport, pas les spectateurs.

Si je prononçais ce discours dans un théâtre, je pourrais dire, non sans ironie : changer ou être changé, telle est la question !

Mais ce n’est là qu’une partie de la réponse à la question du pourquoi. Car cela nous dit seulement que nous avons maintenant l’opportunité de changer. Cela ne nous dit pas pourquoi nous avons besoin de changer. Nous avons besoin de changer car le sport est aujourd’hui trop important dans la société pour en ignorer le reste. Nous ne vivons pas isolés sur une île. Nous vivons au sein d’une société moderne, diverse et numérique. Nous devons nous engager dans cette société, être en dialogue respectueux avec elle. Cette société connaît une transformation plus rapide que jamais. Cette société ne va pas attendre que le sport change. Si nous voulons que nos valeurs, à savoir l’excellence, le respect, l’amitié, le dialogue, la diversité, la non-discrimination, la tolérance, le fair-play, la solidarité, le développement et la paix – si nous voulons que ces valeurs olympiques demeurent pertinentes dans la société, le temps du changement, c’est maintenant.

Le philosophe britannique Bertrand Russell a dit : « … le changement est scientifique, le progrès éthique ». Pour cette organisation fondée sur des valeurs qu’est le CIO, le changement pour le changement ne suffit pas. Pour nous, le changement doit être bien plus qu’une simple réforme cosmétique, bien plus qu’une simple procédure. Le changement doit avoir une finalité. Cette finalité, c’est le progrès. Et pour nous, le progrès équivaut à renforcer la place du sport dans la société à travers nos valeurs.

Ce qui nous amène à la deuxième question : que changer pour progresser ? Avant de pouvoir répondre à cette question, nous devons observer le monde qui nous entoure. Nous vivons dans un monde plus fragile que jamais. Crise politique, crise financière, crise sanitaire, terrorisme, conflits et guerres civiles. Nous vivons dans une société plus fragmentée, plus individuelle, plus égoïste – pourrions-nous dire – que jamais. Nous vivons dans une société mondiale qui offre plus de possibilités que jamais. Des possibilités de communication, de dialogue, de solidarité mondiale, de développement social et de paix. Nous vivons à une époque où nous ignorons dans quelle voie le monde va s’engager – ou pire encore dans quelle voie le monde va se laisser entraîner.

Qu’est-ce que tout cela signifie pour nous ? Tout d’abord que notre message de dialogue, de respect des règles, notre message de tolérance, de solidarité et de paix – le message olympique – est plus actuel que jamais. Si nous voulons renforcer la portée du message olympique, les citoyens doivent entendre notre message; ils doivent croire en notre message; ils doivent « comprendre notre message ». Mais pour bien le comprendre, il est légitime en ces temps d’incertitude  qu’ils posent des questions.

Moins les gens croient en l’avenir, plus ils veulent découvrir ce que l’avenir leur réserve. En ce qui nous concerne, cela veut dire en savoir plus sur la durabilité des Jeux Olympiques et sur notre action; se renseigner sur notre gouvernance et nos finances; savoir si nous sommes fidèles à nos valeurs et si nous nous acquittons de notre responsabilité sociale. Le monde moderne exige plus de transparence, plus de participation, des normes d’intégrité plus élevées. Le monde moderne considère moins de choses comme acquises, ne verse pas dans un optimisme béat, remet en question même ceux dont la réputation est exemplaire. Ce monde accorde moins facilement sa confiance.

Dans le cadre de l’Agenda olympique 2020, toutes ces questions sont traitées en relation avec les trois grands sujets de réflexion que sont la durabilité, la crédibilité et la jeunesse.

À travers l’adoption d’une nouvelle philosophie pour la procédure de candidature, nous encourageons les villes candidates potentielles à nous présenter un projet global qui respecte l’environnement, la faisabilité et le développement, afin de laisser un héritage durable. Avec ces profonds changements, nous sommes bien conscients du fait qu’il n’y a pas de « solution universelle » pour la durabilité des Jeux Olympiques. Les villes désireuses d’accueillir les Jeux ont des objectifs et des niveaux de développement très différents. Nous appuyons cette diversité. Cette diversité fait du reste partie de la magie des Jeux Olympiques. Les Jeuxsont un événement planétaire; aussi les normes d’une seule région du monde ne peuvent-elles pas être, à elles seules, la référence. Les Jeux Olympiques encouragent ce dialogue des cultures. Chaque édition se doit d’être différente. Chaque édition se doit d’être le reflet exact du contexte culturel, social, environnemental et sportif de la ville hôte. Avec l’Agenda olympique 2020, nous défendons et soutenons cette diversité en proposant un assouplissement de l’organisation et du programme des Jeux Olympiques. Dans le même temps, nous préservons l’unité du Mouvement olympique en assurant le respect de nos valeurs par la ville hôte et le respect des athlètes qui sont au cœur des Jeux Olympiques.

Avec l’Agenda olympique 2020, nous abordons le thème de la crédibilité – la crédibilité des compétitions ainsi que celle des organisations. Le CIO a déjà pris des mesures importantes il y a quinze ans et jouit donc d’une excellente réputation. Cela étant, le monde a évolué, tout comme ce qu’il attend d’organisations comme la nôtre.

C’est pourquoi nous renforcerons notre bonne gouvernance, notre transparence et notre éthique.

Les membres de la commission d’éthique seront élus par la Session du CIO et non plus nommés par la commission exécutive.

La commission d’éthique rédigera de nouvelles règles conformes à l’Agenda olympique 2020.

Nous créerons un poste de responsable de la conformité.

Nos états financiers seront préparés et vérifiés conformément aux Normes internationales d’information financière (IFRS), et ce même si d’un point de vue juridique, des normes moins élevées suffiraient. Nous produirons un rapport d’activité et financier annuel qui comprendra la politique d’indemnisation des membres du CIO, ce qui apportera la preuve que les membres sont bien des volontaires.

S’agissant de la crédibilité des compétitions sportives et des athlètes, nous souhaitons revoir l’approche adoptée jusqu’ici. Les athlètes intègres sont au cœur du Mouvement olympique. Ce sont nos meilleurs ambassadeurs, nos modèles, notre richesse. Aussi est-il de notre devoir de protéger les athlètes intègres. Nousdevons les protéger du dopage, du trucage des compétitions, de la manipulation et de la corruption. Nous devons changer notre façon de penser. Nous devons considérer chaque centime mis dans la lutte contre ces maux non comme une dépense, mais comme un investissement dans l’avenir du sport olympique. Nous devons bien comprendre qu’attraper les tricheurs est extrêmement important mais qu’il ne doit s’agir que d’un moyen pour parvenir à une fin plus importante encore – la protection des athlètes intègres. Ce ne sera pas une tâche aisée et cela prendra du temps car l’ancien mode de penser est profondément enraciné. Pour vous donner un exemple du libellé paradoxal que nous utilisons, nous parlons de résultat « positif » en cas de dopage avéré et de résultat « négatif » lorsqu’un athlète est propre. Avec l’Agenda olympique 2020, nous allons montrer les effets qu’aura ce changement d’approche. Nous voulons encourager le lancement de travaux de recherche novateurs dans le domaine de la lutte contre le dopage, travaux qui aboutiront à une meilleure protection – moins onéreuse – des athlètes intègres. Nous voulons établir de solides programmes d’éducation, de sensibilisation et de prévention contre le trucage des compétitions, la manipulation et la corruption.

L’Agenda olympique 2020 témoigne clairement de notre détermination à respecter nos valeurs et principes. La nouvelle formulation du 6e Principe fondamental de l’Olympisme est empruntée à la Déclaration des Nations Unies sur les droits de l’homme. Elle sera désormais plus claire car elle mentionne également l’orientation sexuelle. Cette formulation – plus forte – nous aidera à veiller au respect de tous ces droits pour tous les participants pendant les Jeux Olympiques.

Les activités proposées dans le cadre de « l’Olympisme en action » et « Olympisme et culture » rendront les valeurs du sport plus accessibles à tout un chacun et favoriseront le dialogue au sein de la société.

L’Agenda olympique 2020 s’intéresse à la manière dont nous communiquons avec les jeunes. En tant qu’organisation sportive, nous ne pouvons pas nous contenter uniquement du nombre croissant de jeunes qui suivent les Jeux Olympiques. Il est dans notre intérêt, et c’est aussi notre responsabilité, de faire en sorte que ces mêmes jeunes renoncent à leurs habitudes sédentaires. Seuls les enfants qui pratiquent un sport pourront devenir des athlètes. Seuls les jeunes qui pratiquent un sport pourront bénéficier de ses valeurs éducatives et de ses bienfaits pour la santé. Nous souhaitons être une source d’inspiration pour ces enfants en leur offrant un meilleur accès au sport. Nous souhaitons engager le dialogue avec eux où qu’ils soient. Nous souhaitons que le sport soit inclus dans davantage de programmes scolaires partout dans le monde.

L’Agenda olympique 2020 aborde la pertinence des sports olympiques et de leurs valeurs et propose la création d’une chaîne olympique. Nous devons offrir à nos athlètes et aux sports la couverture médiatique qu’ils méritent à l’échelle mondiale, et ce également entre chaque édition des Jeux Olympiques. Nous devons accorder à nos nombreuses actions dans les domaines humanitaire, culturel et social l’attention qu’elles méritent. Nous devons faire en sorte que les athlètes, le sport, l’histoire olympique, la culture olympique et les valeurs olympiques soient plus accessibles aux jeunes.

L’Agenda olympique 2020 est comme un puzzle. Chaque pièce, chaque recommandation a la même importance. Ce n’est que lorsque vous assemblez les 40 pièces qu’apparaît le tableau, que vous voyez les progrès réalisés pour veiller au succès des Jeux Olympiques, pour protéger les valeurs olympiques, pour renforcer la place du sport dans la société.

Cela nous conduit à la troisième et – ne vous inquiétez pas, c’est promis – dernière question. Comment pouvons-nous accomplir ces progrès ? À cet égard, la gestion du changement était déjà un message et un outil en elle-même. Ce message est clair : la coopération est nécessaire pour progresser. Nous avons engagé des consultations vastes et transparentes non seulement entre nous, mais aussi avec nos principaux partenaires, les Fédérations Internationales et les Comités Nationaux Olympiques, et des personnes de tous les horizons. Nous – Mouvement olympique – avons eu des discussions fructueuses qui ont abouti à plus de 200 contributions que vous, membres du CIO, nous avez adressées lors de la Session du CIO à Sotchi. Nous avons tenu deux Sommets olympiques auxquels ont pris part des dirigeants de FI et de CNO. Nous avons également pu compter sur la participation de tous nos partenaires aux 14 groupes de travail, aux commissions du CIO et aux centaines de réunions bilatérales organisées. Nous avons reçu plus de 40.000 contributions du public, soit plus de 1 200 idées. À travers la composition des groupes de travail, nous nous sommes ouverts à la société. Nous avons ouvert nos fenêtres pour laisser rentrer un peu d’air frais. Nous nous sommes ouverts aux conseils de hauts représentants d’autres ONG, des secteurs politique, culturel et commercial. Toutes leurs précieuses contributions ont été prises en compte dans cet Agenda olympique 2020. Nous ne souhaitons pas et nous ne pouvons pas nous permettre que cet événement soit sans lendemain. Si nous souhaitons transformer ces changements en progrès, nous devons poursuivre ce dialogue.

C’est pourquoi nous ne laissons pas uniquement nos fenêtres, mais également nos portes ouvertes aux consultations avec les différentes ONG, les dirigeants politiques, le monde de la culture et les entreprises. Au cours des dix derniers mois, nous avons signé des partenariats et des contrats TV pour plus de 10 milliards de dollars américains – somme qui sera redistribuée au sport et aux athlètes. Dans toutes ces négociations, l’Agenda olympique 2020 a joué un rôle déterminant. En s’engageant, pour certains jusqu’en 2032, tous ces partenaires témoignent de la grande confiance qu’ils ont en l’avenir du Mouvement olympique et de l’Agenda olympique 2020. Depuis que vous m’avez élu président en septembre 2013, j’ai rencontré 95 chefs d’État ou de gouvernement. Dans bon nombre de ces réunions, l’Agenda olympique 2020 et nos relations avec le monde politique ont joué un rôle majeur.

Notre partenariat avec les Nations Unies constitue le point d’orgue de cette nouvelle coopération. Je suis très reconnaissant au secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-moon, pour sa formidable mobilisation en faveur de cette entreprise commune. « Les principes olympiques sont ceux des Nations Unies », a-t-il déclaré.Au cours de l’année 2014, nous avons déjà tenu plusieurs réunions pour discuter de la manière dont nous pourrions renforcer notre coopération. Nous pouvons être très fiers et heureux d’avoir conclu un protocole d’accord avec les Nations Unies en avril dernier. Nous sommes également ravis et honorés que l’Assemblée générale des Nations Unies ait adopté une résolution par consensus confortant la place de chef de file du CIO et affirmant l’autonomie du sport. Cette résolution reconnaît la contribution du sport pour encourager le dialogue, la paix et le développement. Elle assoit le rôle majeur du Mouvement olympique dans l’établissement du sport comme moyen unique de promotion de la paix et du développement. Elle appelle au respect du caractère unificateur et conciliateur des manifestations sportives internationales et encourage également les États membres à accorder au sport toute l’attention voulue dans le cadre des objectifs de développement durable des Nations Unies.

Ainsi que M. Ban Ki-moon l’a très justement déclaré :

« Cette équipe – les Nations Unies et le CIO […] Nous unissons nos forces au service des idéaux que nous partageons. Durabilité. Universalité. Solidarité. Non-discrimination. L’égalité fondamentale de tous les individus. »

L’Agenda olympique 2020 veille à ce que le Mouvement olympique sous la conduite du CIO soit un membre indispensable de l’équipe qu’il forme avec les Nations Unies.

Chers collègues et amis membres du CIO, désormais cet Agenda olympique 2020 est entre vos mains. Il vous appartient à présent de montrer que telle est notre vision de l’avenir du Mouvement olympique. Notre fondateur, Pierre de Coubertin, nous suit, j’en suis convaincu, avec attention et bienveillance ces jours-ci, car il a toujours été un homme de réformes. Il a dit : « Courage, donc, et espérance ! … foncez hardiment à travers le nuage et n’ayez pas peur. L’avenir est à vous. »

Vous avez tous montré tellement de courage et d’espoir depuis la dernière Session du CIO. Je tiens à vous remercier sincèrement pour votre approche constructive, votre formidable engagement et votre remarquable mobilisation en faveur de notre Agenda olympique 2020. Dans bon nombre de ces discussions, nous avons eu diverses approches et opinions. Cette diversité nous enrichit. Cette diversité est d’autant plus enrichissante que dans le même temps elle a permis de renforcer l’unité de notre vision et de nos valeurs. Profitons de cet élan pour progresser par le changement. Unissons-nous derrière notre Agenda olympique 2020. Démontrons ce qu’est la véritable signification de notre unité dans la diversité. Façonnons ensemble un avenir encore plus radieux pour ce merveilleux Mouvement, véritablement mondial, qu’est notre Mouvement olympique. »