— Publié le 12 février 2020

La liberté d’expression des athlètes olympiques

Institutions Focus

Le sujet est polémique. Il le sera toujours. Les athlètes peuvent-ils exprimer une opinion politique dans le cadre des Jeux olympiques ? La règle 50 de la Charte olympique répond sans nuance par la négative. Le CIO l’a rappelé en début d’année, à l’occasion de sa dernière session, au mois de janvier à Lausanne.

Il n’empêche, les voix s’élèvent un peu partout dans le mouvement sportif pour réclamer son abolition. Elles citent les exemples les plus célèbres d’athlètes ayant su exploiter la caisse de résonance des Jeux olympiques pour faire acte de militantisme. Et, pour certains d’entre eux, marquer l’histoire. En tête de liste, les Américains Tommie Smith et John Carlos, poings gantés et bras levés sur le podium du 200 m aux Jeux de Mexico en 1968.

Fait rarissime : le doyen du CIO, le Canadien Dick Pound, membre de l’institution depuis 1978, s’est fendu d’une tribune pour défendre la règle 50 de la Charte olympique et le besoin de sauvegarder la neutralité des Jeux. FrancsJeux la publie dans son intégralité.

« Lorsque les détracteurs assènent leurs critiques à grands traits ou les déversent sur la toile  à la manière de Jackson Pollock, la rigueur intellectuelle se perd souvent dans le tourbillon et les éclaboussures. De même, lorsque la posture consiste à se tenir prêt à viser et à faire feu, on accorde peu d’attention au contexte. Dans la pulsion du tir, la précision est reléguée au second plan.

Prenons l’exemple de la règle 50 du Comité International Olympique (CIO). Elle stipule qu’aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique.  Cette règle s’applique par extension aux remises de médailles et interdit ces formes de démonstration sur les podiums. Il y a une explication parfaitement simple à cette règle qui, dans certains milieux, a été sévèrement critiquée comme étant une atteinte injustifiable à la liberté d’expression dont jouissent les athlètes olympiques.

Remettons un peu d’ordre dans certains faits.

  • Les Jeux Olympiques sont un événement international auquel participent actuellement quelque 206 Comités Nationaux Olympiques (et, par extension, des gouvernements), une quarantaine de fédérations sportives internationales et, pour les Jeux d’été, environ 11.000 athlètes. Il y a également de nombreux éléments mobiles, sans compter d’autres facteurs qui viennent se greffer tels que les médias, les spectateurs et les responsables de l’organisation.
  • De nombreuses tensions internationales complexes existent entre les 206 pays d’où proviennent les athlètes.
  • Les Jeux Olympiques demeurent toutefois un phénomène particulier qui offre, en dépit des dysfonctionnements planétaires, une oasis où les jeunes du monde peuvent se réunir dans le cadre d’une compétition pacifique, libérée des tensions créées par leurs aînés et avec lesquelles ils devront composer avant et après les Jeux. Bien évidemment, la « bulle » des Jeux ne dure pas, mais chaque célébration des Jeux Olympiques est un petit pas en avant. Si les Jeux peuvent fonctionner ne serait-ce que pendant 17 jours, peut-être qu’un jour, le monde lui aussi le pourra.
  • Quelqu’un peut-il aujourd’hui donner meilleur exemple de paix et de bonne volonté internationales à une telle échelle ?  Dont la portée et l’impact émotionnel se mesurent en milliards de personnes ?

Revenons maintenant à la Règle 50 et au tollé qu’elle a déclenché à tort.

Premièrement, ce n’est pas une nouvelle règle et, deuxièmement, elle est tout à fait conforme au contexte qui sous-tend les Jeux Olympiques, au cours desquels les questions de politique, de religion, de race et d’orientation sexuelle sont mises de côté. Les directives qui sont à l’origine du mouvement d’indignation ont été élaborées par les athlètes eux-mêmes, après de longues consultations. En manifestant sur le podium, ce sont les athlètes qui risquent de ne pas profiter du moment pour lequel ils se sont entraînés toute leur vie.

Chacun a le droit d’avoir des opinions politiques et chacun est libre de les exprimer. Le CIO est tout à fait d’accord avec ce principe et a clairement indiqué que les athlètes restaient libres d’exprimer leur avis lors de conférences de presse, d’entretiens avec les médias et sur les réseaux sociaux. Mais, dans une société libre, les droits peuvent être assortis de certaines limites. La Règle 50 limite les occasions et les lieux d’exercice de ces droits. Elle n’empiète pas sur les droits eux-mêmes. De nombreuses autres organisations gouvernementales et sportives fixent des règles similaires qui limitent les formes de manifestation. N’oubliez pas non plus qu’autoriser des protestations sur un podium implique de les accepter toutes, et pas uniquement celles que nous approuvons.

Comme pour les pays, aucune organisation n’est parfaite. Certaines, dont le CIO, restent toutefois attachées à des principes et à des objectifs ambitieux. Le CIO s’engage à utiliser le sport pour rassembler les individus dans des conditions pacifiques, à en faire un outil de leur épanouissement général et à contribuer à leur rencontre avec d’autres personnes du  monde entier. Les Jeux peuvent en effet démontrer au monde entier que tous les rêves sont possibles pour autant qu’il y ait le désir de les concrétiser, tempéré par la bonne volonté et le respect mutuel.

La Règle 50 rappelle qu’aux Jeux Olympiques, la retenue est un aspect de ce respect mutuel. Il est tout à fait logique que le CIO, qui a créé les Jeux, établisse des règles en accord avec les principes fondamentaux qui le régissent. Ce n’est pas de l’orgueil, comme l’ont affirmé certains détracteurs, mais plutôt une conviction qu’un monde meilleur est possible avec un équilibre concomitant entre droits et responsabilités.

C’est notre lot que de vivre dans un monde extrêmement différencié. Il est de notre devoir de provoquer le changement, de créer un consensus sur le « vivre ensemble » d’une manière qui respecte la diversité, sans la condamner, et accepte le droit à la différence, en comprenant qu’il n’existe pas d’idéologie parfaite ni de paradigme unique. L’équation humaine est trop vaste pour un tel ersatz de solution.

Les Jeux Olympiques ne sont pas, en soi, la panacée face à tous les défis auxquels nous sommes confrontés. Mais les principes qui donnent vie aux Jeux sont à même d’éclairer la voie à suivre en intégrant les valeurs humanistes essentielles. Éviter la vengeance, surtout la vengeance malencontreuse, est un admirable début.

La Règle 50 de la Charte olympique codifie ce principe important. Nous devons tous nous rappeler ce dont nous avons hérité et, sans sacrifier aucun droit à la liberté d’expression, envisager l’expérience spéciale des Jeux Olympiques comme l’élément constitutif d’un avenir meilleur. »