Candidatures

« L’Afrique doit rêver, mais rêver les yeux ouverts »

— Publié le 1 avril 2016

L’Afrique se lancera-t-elle bientôt à nouveau dans la course aux Jeux olympiques ? Le continent pourra-t-il un jour l’emporter ? Les questions ne sont pas nouvelles, mais elles restent en attente de réponses. Le débat a été rouvert ce vendredi 1er avril à Alger, à l’occasion de la 10ème édition de la Convention internationale du sport en Afrique (CISA). Parmi les intervenants, Essar Gabriel. L’ancien secrétaire général de l’IAAF, longtemps au CIO, vient de créer sa société de conseil, egabriel, basée à Dubaï et dédiée à l’administration et l’organisation des grands événements sportifs. Il a détaillé pour FrancsJeux les conditions économiques d’un projet olympique.

FrancsJeux : Existe-t-il une relation directe entre la puissance économique d’un pays et ses chances d’organiser les Jeux ?

Essar Gabriel : Oui. J’ai étudié le PIB et le rang dans l’économie mondiale des pays ayant organisé les Jeux d’été entre 1984 et 2020. En se basant sur les chiffres de 2014, on constate que toutes ces nations sont classées dans le top 14 des puissances économiques mondiales, à l’exception de Grèce, pointée au 44ème rang. Les Etats-Unis (Los Angeles 1984, Atlanta 1996) occupent la première place, l’Espagne (Barcelone 1992) la 14ème. Toutes les autres (Corée du Sud, Australie, Chine, Grande-Bretagne, Brésil et Japon) sont classées entre les deux.

Où se situe l’Afrique ?

Aujourd’hui, ses pays n’appartiennent pas à cette élite. Le Nigéria est classé à 21ème place, l’Afrique du Sud est 33ème, l’Egypte 38ème, l’Algérie 48ème, l’Angola 60ème et le Maroc 61ème. Le PIB affiché par le Nigéria, en tête du continent, était en 2014 le tiers de celui de l’Espagne.

Les prévisions donnent-elles un espoir aux pays africains ?

Oui. Une étude du cabinet PwC place le Nigéria à la 19ème place mondiale en 2030, puis à la 9ème en 2050. A cette date, l’Egypte devrait pointer au 20ème rang des nations mondiales. Sur un plan purement macro-économique, le potentiel d’une candidature africaine se situe donc entre les années 2030 et 2050.

Les faibles perspectives de recettes commerciales ne constituent-elles pas un handicap pour une candidature africaine ?

Certainement. La capacité hôtelière en est un autre. Aujourd’hui, l’Afrique du Sud semble, sur le continent, le marché le plus mûr en termes de recettes commerciales et de financement privé. Le Nigéria amorce un virage dans le même sens.

L’Agenda 2020 adopté par le CIO peut-il changer la donne ?

Il permet sans doute de se servir de stratégies qui semblaient impossibles avant son adoption. A CISA, le président du comité olympique algérien, Mustapha Berraf, a évoqué aujourd’hui l’idée d’une candidature commune des trois pays du Maghreb, Algérie, Maroc et Tunisie, aux Jeux de la Jeunesse, voire aux Jeux olympiques. Mais une candidature aux JO ne se réduit pas aux chiffres d’un PIB. Le lien entre l’économie et les ambitions olympiques est certain, mais une candidature doit s’appuyer sur une stratégie à moyen terme, entre 8 et 12 ans. Il ne faut pas casser le rêve, mais il faut avancer en rêvant les yeux ouverts. Vouloir les Jeux n’a pas de sens si l’objectif n’est pas accompagné par un plan solide, pertinent et réfléchi. Le projet peut partir d’une envie ou d’une intuition, mais il doit ensuite être renforcé par une étude chiffrée et un plan stratégique. Une candidature olympique doit avoir du sens, surtout dans un monde éveillé comme le nôtre, où les questions de citoyenneté et de durabilité sont au cœur de l’évolution.

L’exemple du Brésil, pays émergeant au moment de la victoire de Rio pour les Jeux de 2016, aujourd’hui en pleine crise économique, ne risque-t-il pas d’inciter le CIO à une certaine prudence au moment de confier les Jeux à une nation en plein développement ?

Il est certain que l’économie du Brésil était plus forte au moment du vote qu’elle l’est aujourd’hui. Mais la réussite probable des Jeux de Rio 2016 ne laissera pas de mauvais souvenirs aux Brésiliens une fois passé l’événement. La population n’en parlera certainement pas, à l’avenir, comme d’un événement ayant affaibli le pays. Il entrera même sans doute dans l’ADN et l’histoire du Brésil. Aujourd’hui, les gens qui descendent dans la rue dans le pays pour manifester ne s’en prennent pas aux Jeux, mais au pouvoir en place.

Malgré tout, la stabilité ne devient-elle pas un critère décisif dans l’attribution des Jeux olympiques ?

Elle l’est, bien sûr. Stabilité politique et économique. Mais les membres du CIO n’ont pas forcément tous une vision à moyen terme. Ils sont aussi influencés dans leur choix par l’environnement du moment, notamment géopolitique. Sans la crise sécuritaire qui a éclaté peu avant le vote pour les Jeux de 2020, Istanbul aurait peut-être été préférée à Tokyo.