— Publié le 14 décembre 2017

« Un réfugié peut être médaillé aux Jeux de Tokyo »

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Dans l’univers olympique, Tegla Loroupe n’est plus seulement un palmarès. Ancienne recordwoman du monde de l’heure, deux fois victorieuse du Marathon de New York, la Kényane est aussi une voix. Elle appartient au collectif des Champions de la Paix de l’organisation Peace and Sport. L’an passé, Thomas Bach l’a choisie comme chef de mission aux Jeux de Rio de la première équipe de réfugiés de l’histoire.

Présente la semaine passée au Forum international Peace and Sport, Tegla Loroupe a expliqué à FrancsJeux les leçons et les perspectives de l’équipe des réfugiés.

FrancsJeux: Avec le recul d’une plus d’une année, quelles leçons avez-vous tirées de votre expérience de chef de mission de l’équipe des réfugiés aux Jeux de Rio 2016?

Tegla Loroupe: Avec ces athlètes réfugiés, je n’ai pas seulement été la chef de mission aux Jeux de Rio. J’ai aussi joué pour eux le rôle de grande sœur, et même parfois un peu celui de mère. J’ai essayé de leur enseigner comment passer du néant à la notoriété. Surtout, je leur ai expliqué que pour eux, participer aux Jeux n’était pas la fin de l’aventure, mais seulement le début. Je leur ai demandé de penser à la suite, à l’avenir. Ils ont été chanceux. Ils se sont beaucoup entraînés, certains l’ont fait beaucoup plus que les autres athlètes olympiques. Maintenant, il faut se projeter sur les prochains Jeux olympiques et championnats du monde.

Cette équipe olympique des réfugiés a été initiée par le CIO. Quelle est aujourd’hui sa position?

Après les Jeux de Rio, je suis allée voir Thomas Bach. Je lui ai demandé: « Maintenant, on fait quoi? » Sa réponse a été très positive. Il m’a expliqué vouloir poursuivre le projet. Depuis le début de la nouvelle olympiade, le CIO continue à soutenir le programme. Les Nations Unies également.

Que sont devenus les athlètes de l’équipe de réfugiés à Rio 2016?

Ils n’ont pas disparu. Après les Jeux, ils sont rentrés avec moi au Kenya, où ils vivent et s’entraînent au centre national de Nairobi. Ce centre est leur nouvelle maison. En plus de l’entraînement, grâce à l’aide des gouvernements, ils bénéficient d’un programme éducatif. Certains vont à l’école, comme les autres jeunes du Kenya.

Leur vie a changé…

Complètement. Ils ont gagné, ou regagné, l’estime de soi. Ils ont retrouvé une place dans la société.

Quelles sont les prochaines échéances?

Depuis les Jeux de Rio, certains athlètes réfugiés ont participé aux championnats du monde d’athlétisme à Londres. Nous sommes aussi allés disputer les Jeux d’Asie indoor à Achgabat, au Turkménistan. Nous préparons maintenant les championnats d’Afrique, prévus l’an prochain en Algérie.

 

 

Comment envisagez-vous les Jeux de Tokyo 2020?

Aujourd’hui, il n’est plus question d’envoyer un message. Cette équipe ne doit plus seulement être un symbole. Nous voulons des résultats. A Nairobi, plusieurs athlètes réfugiés s’entraînent pour les concours, où nous étions absents aux Jeux de Rio. Au final, la décision appartiendra au CIO. A lui de décider du nombre d’athlètes. Mais je fais le vœu que l’équipe des réfugiés pour Tokyo 2020 soit plus nombreuse. Dans le cas contraire, les athlètes pourraient perdre leur motivation.

Pour vous, quelle taille devrait-elle avoir?

Une vingtaine d’athlètes. Aujourd’hui, les réfugiés se comptent par millions dans le monde. Pour les Jeux de 2020, une équipe de 20 sélectionnés constituerait un progrès. Ils pourraient être engagés dans des sports différents, comme le judo ou le karaté. J’ai été contacté par l’Allemagne, à propos d’un athlète syrien s’entraînant dans le pays. Les Allemands sont prêts à le soutenir pour qu’ils rejoigne notre groupe et dispute avec nous les Jeux de Tokyo.

Vos moyens sont-ils suffisants?

Non. Le CIO continue à nous donner de l’argent, mais il en faudrait plus. Ces athlètes ont besoin d’un suivi médical, mais aussi d’une éducation. Pour certains d’entre eux, le niveau est très bas. Il nous faut des professeurs pour les aider et les accompagner. L’argent peut aussi servir à assurer à leurs familles un niveau de vie décent. Il est très difficile de s’entraîner dur, jour après jour, quand vous savez que vos proches n’ont pas assez pour se nourrir.

Bénéficiez-vous d’une aide des fédérations internationales?

Non. L’IAAF nous a aidés l’été dernier pour les championnats du monde à Londres. Elle a promis de renforcer cette aide l’année prochaine, notamment pour les conditions d’entraînement. Pour le reste, nous n’avons aucun contact.

Sportivement, quel est le but ultime de l’équipe des réfugiés?

Une médaille aux Jeux de Tokyo 2020. C’est réaliste, j’en suis sûre. Au moins en athlétisme. Nous pouvons avoir une médaille dans les concours, à la longueur ou au triple saut. Nous avons des grands gabarits. Ils vont progresser. Avant les Jeux de Rio, ils avaient le talent mais il leur manquait la confiance. Aujourd’hui, ils ont retrouvé l’espoir.